VIDÉO : Mon voyage en Transsibérien

Solitude

Lettre à ma solitude

 

Ma chère,

Ça fait longtemps que j’ai envie te parler, est-ce que j’ai le droit de m’adresser à toi directement ? Je sais que je ne t’ai pas habituée à ça, j’imagine que ma familiarité soudaine t’incommode et que ce tutoiement te surprend. Je le sais en fait, je te connais bien. À vrai dire, on se ressemble beaucoup toi et moi. Mais aujourd’hui il me semble important de faire ce pas vers toi. Je crois que j’ai beaucoup de choses à te dire et que j’ai déjà trop attendu. Allez, fais pas cette tête !  Ce n’est pas comme si on ne se connaissait pas. Ça fait bientôt vingt-trois ans qu’on cohabite.

Je conçois que cette lettre va te paraitre un peu étrange, comme aux autres qui la liront d’ailleurs. On ne parle pas souvent de toi ici. À vrai dire, quand il s’agit de toi, le sujet est un peu tabou. La plupart des gens te présentent comme un monstre à abattre ou une maladie incurable. Ils sont prêts à toute sorte d’arrangement pour t’éviter. Je m’étonne de leur entêtement, je m’en irrite parfois. Quand je sors des arguments en ta faveur, on me répond que c’est si triste d’être seul. On me parle de ces mamans célibataires qui galèrent ou des SDF, de ces gens au chômage, à la retraite. Tu sais, ces vieux qui meurent tout seuls chez eux, qu’on ne remarque qu’un an après à cause de l’odeur. Pourtant, ton prénom, quand il sort de ma bouche, n’a rien à voir avec tout ça. Je crois qu’ils te confondent avec l’abandon ou l’isolement, avec une sorte de manque.

Pour moi, tu représentes avant tout un retour à soi. Un appel à découvrir ses désirs, ses rêves, sa liberté. Une pause dans ces relations qui sont toujours plus compliquées, dans ce monde qui s’essouffle, cette société qui s’effrite. Très tôt, on nous éduque à vivre ensemble, à jouer ensemble, à travailler ensemble. On nous inculque le compromis, la patience, on nous apprend à communiquer, à mentir surtout. On nous convainc que tu es incompatible avec le bonheur, avec l’amour, et que, contrairement au dicton, il vaut mieux être avec n’importe qui, plutôt que seul.

Alors j’ai essayé moi aussi. De faire partie d’un groupe, d’une communauté, d’un couple. J’ai passé des années à supporter des compagnies que je jugeais ennuyeuses pour me sentir acceptée, normale. Le plus généralement parce qu’on me le demandait et que ça inquiétait ma mère de me voir avec toi. Mais la vérité c’est que je me sens bien plus seule en soirée, entourée par le monde, les lumières, les sons. Je me mêle aux autres, je parle avec ces gens, je me sens vraiment bien parfois, mais souvent, d’un coup, j’ai le sentiment d’être seule au monde. J’ai l’impression que nos paroles sont insensées, tellement superficielles, et qu’il n’y a aucun espoir que l’on se comprenne un jour. Ça t’ai déjà arrivé à toi aussi ?

On rabâche sans cesse les mêmes propos stériles, entendus à la télé, dans les médias, sortis de la bouche des plus cons de ce monde. On s’emporte les uns contre les autres pour des broutilles et on évite soigneusement les vrais sujets. Je crois qu’à vivre continuellement en groupe on finit par régresser intellectuellement. On laisse les autres réfléchir à notre place, parce que c’est plus simple sur le moment. Mais avec les années on perd tout esprit critique. Comment veux-tu qu’on soit capable de tolérance, de jugement, si l’on n’est même pas aptes à nous faire nos propres idées ?

Malgré ça, je m’interroge : est-ce que je suis folle ? Est-ce que je suis la seule à te trouver belle, et plutôt positive ? Est-ce que ça fait vraiment de moi quelqu’un d’asocial de passer du temps avec toi ?

Très jeune je remettais déjà en cause le pouvoir, l’autorité, l’adulte. Je crois que je n’ai jamais été quelqu’un de docile. Depuis toujours on me traite de fière ou de rebelle, on me dit que ce n’est pas comme ça que je vais plaire ou me faire des amis. Ça me fait un peu sourire quand je pense aux gens formidables qui habitent ma vie. Je crois que le seul moyen d’être soi-même et quelque peu épanoui est d’arrêter d’avoir en permanence recours à l’autre, à son regard ou son avis.

Mais la société dans laquelle on a grandi a fait de nous des assistés émotionnels. On passe notre temps à essayer de faire plaisir, à vouloir rendre fiers nos parents, à écouter des conseils qui ne nous correspondent pas, et on finit par suivre une voie qui n’est pas la nôtre. Mais la vérité c’est que personne d’autre que moi ne peut raisonner à ma place, personne n’est dans ma tête, personne ne peut me dire ce qui doit faire mon bonheur ou quel chemin suivre. Cette idée est effrayante, voire même douloureuse, mais quelle vie m’attend si je refuse encore de la reconnaître ? N’est-ce pas ça, d’ailleurs, devenir adulte ? Se rendre compte que l’on est responsable de sa propre vie ? Se prendre en main et faire face, plutôt que d’accabler l’autre ou l’appeler au secours ? Je crois que cette prise de conscience est le commencement de tout.

C’est tout un art les rapports sociaux, tu sais bien que ça m’a souvent dépassée. J’ai l’impression que le partage véritable et l’honnêteté entre humains est plutôt utopique. En fait, j’ai le sentiment, et c’est ce qui me dérange le plus, qu’aucune relation n’est vraiment gratuite. Que quand on passe du temps avec quelqu’un, c’est très souvent intéressé. Ce n’est pas forcément conscient, et encore moins malintentionné, mais les gens ont tellement besoin qu’on les rassure, qu’on les guide, qu’on les rende heureux. Je ne m’en sens pas le pouvoir. C’est trop.

Tu n’imagines pas la gueule de mes proches quand je leur dis que je n’ai pas besoin d’eux. Bon, dit comme ça, je peux les comprendre aussi… C’est vrai que je ne suis pas souvent très délicate dans mes propos. Mais ce que je veux dire c’est que je n’ai pas ‘’besoin’’ d’eux. Je suis là, je suis moi, je suis complète, (…) je suis contente ! Évidemment, ils rajoutent à mon bonheur quotidien, ils m’apportent énormément, et on crée de belles choses ensemble, mais c’est un plaisir, ce n’est pas un besoin. Je n’espère rien d’eux, je les aime comme ils sont, sans forcément attendre de retour, simplement parce qu’ils existent. Je suis fière de pouvoir aimer comme cela.

Dis -moi, on a le droit d’être pas commode ? D’être sauvage et sociable en même temps ?

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Depuis trois ans on me questionne sur mon choix de voyager seule. On me félicite ou on me plaint, on me qualifie de courageuse ou on me demande ce qui cloche chez moi. Tous les avis se superposent, s’emmêlent, et à moi il m’a fallu tout ce temps pour comprendre les raisons de notre rencontre.

Je t’écris aujourd’hui comme à une amie, mais il faut que je t’avoue que durant des années, moi aussi je t’appréhendais un peu. Quand je t’ai embarquée avec moi pour la Norvège, lors de mon tout premier voyage, tu n’étais pas vraiment voulue. J’avais juste besoin de partir, vite, d’aller voir ailleurs, et personne d’autre que toi n’était prêt à me suivre. À cette époque, je ne connaissais pas encore tous ces forums qui regroupent les voyageurs, toutes ces annonces où les uns et les autres recherchent des compagnons d’aventure. Et Dieu merci.

Ces voyages avec toi m’ont profondément changée. Durant ces longs mois, à ne pouvoir ne compter que sur nous-mêmes, je crois que j’ai vraiment grandi. La route et toi faites des enseignants formidables. Vous m’avez appris l’humilité, la bienveillance, la persévérance, et surtout, le courage. Vous m’avez obligée à surmonter le difficile. Je ne pensais pas être si forte.

Alors non, tu n’as rien de facile. Et tu n’es pas vraiment douce non plus. D’aussi loin que je me rappelle tu n’as jamais essayé de me préserver. Au contraire, tu me poussais déjà à bout. Tu m’impressionnes un peu avec tes grands airs et tes excès. Des fois tu m’inquiètes. J’ai peur de m’approcher trop près de toi et de ne plus être capable de rentrer chez moi. Des fois j’ai peur que tu me rendes folle.

Tu me fais un peu penser aux histoires d’amours passionnées. Comme elles tu demandes un abandon et un dévouement total, comme elles tu peux t’avérer terriblement blessante, ou sublime. Tu es une épreuve à part entière. Tu coûtes cher, mais le prix à payer et la récompense sont les mêmes : la liberté.

Aujourd’hui, je ne peux plus me passer de toi. Tu es devenu un choix réfléchi, et même plus que ça, un engagement. J’ai passé un accord avec toi, celui de vivre avec attention et courage, avec lucidité et respect. Nos rencontres comme un rendez-vous avec moi-même. On a encore du chemin à faire toi et moi. Je n’ai pas encore tout compris, je n’ai pas encore fait la paix avec les autres, ni même avec moi. Je crois que c’est ça le vrai but de ces voyages : apprendre à me connaître, à me respecter et à m’aimer. C’est aussi pour cela qu’ils sont solitaires : ils ne mènent qu’à mon propre salut.

On me demande comment je fais pour oser toutes ces aventures. Je crois que tu y es pour beaucoup. Je ne ressens plus le besoin de parachute, de semaines routinières, ou de l’assurance d’avoir quelqu’un dans mon lit toutes les nuits. C’est toi qui me sécurises. Je sais que quoiqu’il se passe, si dans ma vie je traverse des moments de doute ou de peine, je retrouverai toujours mon souffle à tes côtés. Je sais que quand les angoisses seront trop présentes, et que la situation semblera bloquée ici, mon secours ultime viendra d’en haut, de toi.

C’est donc vrai : « L’âme cesse d’être solitude quand elle devient sanctuaire. »

 

Avec amour et dévotion,

 

Sarah

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On ne peut pas dire que l’eau soit mon élément, encore moins que j’ai le pied marin. Je n’ai jamais su plonger, je n’aime pas immerger ma tête, je panique dès que je vois un poisson et mes connaissances en natation consistent à essayer de ne pas couler. Il paraît qu’on a tous passé neuf mois à baigner dans le ventre de nos mères, que notre corps est rempli à 80 % d’eau et que si l’on reste allongé, détendu, à la surface, on flotte… Quelle drôle d’idée !

Pourtant, j’aurais aimé ça : sortir de l’eau avec ma planche de surf sous le bras, ma peau tirée par le sel et mes cheveux dorés, secouer bêtement mon pouce et mon auriculaire en signe de reconnaissance à de beaux compères blondinets. Mais non.

D’aussi loin que je me rappelle, l’eau m’a toujours incommodée. Mes origines m’ont habituée aux montagnes vertigineuses, à la stabilité des forêts et aux champs remplit de vaches. Je sais faire du feu, de la grimpe, des cabanes, du ski, du curling, du cidre, du fromage. Mais dès qu’il s’agit d’eau… Non.

Pour être honnête, j’ai un peu peur de la mer. Mais sérieusement, ça se justifie : c’est plein de quinze mille sortes de requins et de pirates moins beaux que Jack Sparrow, de baleines qui baisent et de Bretons à moitiés fous. C’est donc assez étonnant que j’écrive ce texte de l’île de la Dominique, après avoir traversé l’Atlantique à la voile. C’est peut-être ce que j’ai fait de plus fou : tout plaquer et grimper dans le premier bateau qui passe.

Laissez-moi vous raconter…

 

Transatlantique récit

 

En septembre 2015, peu après mon retour de Norvège, je réfléchis à ma prochaine aventure : j’ai envie d’étendre ma traversée d’Europe à l’échelle mondiale. Un tour du monde en stop en quelque sorte. Ce projet appelle directement à traverser les mers en bateau-stop, ce qui sur le moment me paraissait facilement accessible. Un mois plus tard, c’est confiante que je suis descendue en voiture jusqu’à Nice, au hasard, pour tenter le bateau-stop jusqu’en Corse. J’ai très vite été embarquée, sans aucune connaissance, mais avec une soif ardente d’apprendre.

Johnny, la trentaine, un marin chevronné qui a à trois reprises traversé l’Atlantique en solitaire, m’accueille sur son joli voilier d’une quinzaine de mètres pour une traversée de Nice à Calvi. De toute la semaine, ma tête n’a pas quitté le seau. J’ai été malade tout le long : les trois jours à l’aller, les deux nuits au port, les trois jours de retour, et même sur les trajets en annexe pour retrouver la terre. J’ai tellement vomi que la mer se le rappelle sûrement autant que moi ! Autant dire que je n’ai rien appris sur la mer, sauf que je n’avais rien à y faire. Je suis rentrée totalement découragée et j’ai pris un aller simple pour la Russie : traverser la Sibérie seule en hiver me paraissait moins périlleux. J’ai repoussé très loin cette idée de voyage en bateau, sans savoir que très loin ça ne suffit pas. Une année après, l’appel de la mer s’était fait plus fort, irrépressible.

Le 1er janvier 2017, Gibraltar, me voila ! Je viens de traverser la France et l’Espagne, un mois d’auto-stop sur ces routes que je connais bien. Je passe cette nouvelle frontière à pied, Pipes’n’Drums dans les oreilles, la cornemuse se veut un clin d’œil à cet état anglais, mais je me demande : Est-ce que c’est pas irlandais plutôt ? Qu’importe, me voilà enfin ! Depuis le début du projet, je rabâche à qui veut bien l’entendre, sur un ton assuré, que je me rendrai à Gibraltar et que là, je trouverai un voilier pour l’Atlantique. –’’Ca va l’faire, c’est comme ça qu’ils ont fait les autres. Mais si, ça va marcher !’’

Pourtant, en arrivant de l’autre côté de la frontière, je me demande sincèrement ce que je fous là. Je me rassure à voix basse, je m’interdis de douter. Je suis les panneaux qui indiquent la marina et après une dizaine de minutes j’arrive à Océan Village, un village de plaisanciers assez bourge où se superposent les yachts de luxe. Je me demande si c’est vraiment là qu’il fallait venir. Depuis des jours, chaque personne que je rencontre me donne des conseils qui contredisent mes plans : –‘’Ce port est mieux, les gens ne s’arrêtent pas à Gibraltar, tu aurais dû chercher en France, en Espagne…’’ Je deviens folle, et même Google ne sait pas me renseigner correctement. Je me sens un peu bête d’être là et le jour va bientôt se coucher, je n’ai aucune idée d’où passer la nuit, aucun contact sur place. Je marche encore et demande aux passants où sont les ‘’sailors boats’’, personne ne peut me répondre. Je prends de la hauteur et vois ce que j’appelais à l’époque des ‘’piquets de voiles’’ (des mats). Bingo !

Deux pontons et une trentaine de voiliers : je voyais ça plus grand. Je me rapproche du premier ponton où une pancarte déclare que l’accès est réservé aux propriétaires de bateaux. Je souris, victorieuse, en la doublant. J’ai toujours aimé désobéir aux règles, aussi petites et insignifiantes soient-elles. J’avance hésitante sur le ponton et vois un homme très classe, en polo Ralph Lauren sur le pont d’un magnifique voilier brillant. Je regarde mes Doc Martens trouées, mes vêtements déchirés et sales, j’imagine mes cheveux gras et en pagaille, je doute un peu. Je lance Eyes of the Tiger sur mon iPod et revêt mon uniforme invisible de ‘’Super Sarah’’. Celle qui est remplie d’audace et qui n’a peur de rien. Je vous présente ma schizophrénie.

J’avance jusqu’à lui et l’aborde en anglais, après avoir remarqué le pavillon australien sur l’arrière du bateau.

Hey, hello ! Can i ask you something ?! You can maybe help me… (Bonjour ! Est-ce que je peux vous demander quelque chose ? ?! Vous pourriez peut-être m’aider…)  – Sure ! (certainement !)

Il s’approche, je lui explique ma situation et lui demande s’il a connaissance d’un bateau qui partirait prochainement pour les Canaries. Il me demande si j’ai de l’expérience : non. Si j’ai le mal de mer. Rien que la vision du voilier qui tangue à quai me donne la nausée, mais peu importe, je ravalerais mon vomi s’il le faut.

No, i don’t got seasike. (Non, je n’ai pas le mal de mer.)

‘’Est-ce que tu fumes ? D’où viens-tu ? Quel est ton itinéraire ? Tu n’as que ça comme bagage ? Tu faisais quoi dans la vie avant ? Tu sais cuisiner ? Au fait, comment tu t’appelles ?’’ Interro surprise de cinq minutes, je tente de ne rien dire de bizarre, je m’essaye à la belle-fille parfaite.

Eh bien, Sarah, on part dans quatre jours, tu es la bienvenue !

WHAAAAAT ?! Mon cœur s’arrête de battre pour faire un bond, j’ai envie de hurler, de sauter partout et de fondre en larmes. Il me faudra ne jamais oublier la reconnaissance éprouvée en cette minute. La salsa joue dans mes jambes quand je monte à bord de ‘’Marloo IV’’, ma nouvelle maison. Je fais tout de suite la connaissance de Narelle et Teagen, la femme et la fille de Leo, le capitaine. Cette petite famille fait le tour du monde en voilier, sur la mer depuis une année et pour deux ans encore.

Leur accueil m’impressionne : la fille me saute dans les bras et attrape Mimou, la mère aussi me donne l’accolade puis s’empresse de préparer mon lit, s’inquiète de mon dernier repas, me donne une serviette et des vêtements propres, les siens.

Leo, lui, me fait visiter le bateau. Marloo est un magnifique voilier de 20 mètres de long, conçu il y a une trentaine d’années par un architecte américain. À vrai dire, il ressemble plus à une maison qu’à un bateau. L’arrière est réservé aux parents. Une grande chambre avec un lit double et une salle de bain attenante, au milieu tribord, c’est la chambre de Teagen, une mignonne petite cabine qui possède elle aussi sa propre salle de bain. A l’avant deux autres cabines contenant deux couchettes chacune et une troisième salle de bains. Au milieu bâbord, on trouve une cuisine aménagée (cuisinière, four, frigo, congélateur, deux éviers, même un grille-pain) et dans le couloir, une machine à laver le linge. Le salon mesure environ 25 mètres carrés, avec une grande table à manger et un coin bureau pour la table à carte et le poste radio. Le grand luxe ! Le bateau est totalement équipé pour la navigation : GPS, radars, bulletin météo, pilote automatique, winches électroniques, téléphone par satellite… Je suis un peu soulagée, je me dis que le confort et la stabilité de ce grand bateau atténueront peut-être mon mal de mer. Et puis je suis contente de tomber sur une famille et pas sur un marin psychopathe solitaire. Je me sens en sécurité sur ce bateau.

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12 décembre 2016 : liste de mes peurs du bateau

Dans l’ordre de probabilité :

Très vite, je prends mes marques sur le bateau. J’observe leurs habitudes à bord et les reproduis, je m’en sors bien malgré leur accent australien et mon anglais approximatif. Mes tâches à bord sont de cuisiner des crêpes, d’occuper Teagen, de travailler quelques heures sur le bateau (polissage, couture, ponçage et vernissage) et de faire la vaisselle en utilisant le moins d’eau possible. Un lien très fort se construit entre la petite, la mère et moi. Le père est plus distant, je pense que c’est parce que je suis une femme, mais l’entente est là quand même.

Leo et Narelle ressemblent à l’idée que je me suis faite durant des années de la famille parfaite. Mariés depuis vingt-cinq ans, ils sortent de longues études et sont autoentrepreneurs dans des domaines qui les passionnent. Ils vivent dans une belle et grande maison en Australie, vont à l’église, sont toujours très bien habillés, fiables, irréprochables. Ils ne disent jamais de gros mots, s’entendent bien avec leurs voisins, respectent les règles et sont polis. Lui a la place du père : il est autoritaire, sérieux et protecteur. Elle a la place de la maman : douce, belle et qui fait des gâteaux. Vivre avec cette famille me rappelle que la mienne a éclaté bien vite, mais ça me permet aussi de relativiser. Ma famille bizarre, qui ressemble étrangement à un bon épisode de Malcolm, je l’aime. Je ne l’échangerais pour rien au monde.

À la base, nous devions rester quatre jours au port avant de partir sur les Canaries, mais Leo attend une ancre flottante, une part de l’équipement de sécurité du bateau, commandée depuis les Etats-Unis. Leur escale à Gibraltar n’avait pour seul but que de réceptionner l’ancre dans cette zone détaxée et d’économiser ainsi plusieurs centaines d’euros. Pour moi, ça aura été l’occasion de confirmer ce que j’ai toujours entendu à propos des voyages en bateau : tout prend du temps. L’ancre a mis trois semaines à arriver, puis Leo est tombé malade, puis la météo était mauvaise. Au final nous avons passé cinq semaines en attente à Gibraltar. ’Coincés sur ce foutu rocher’’ comme disait Narelle.

Mon séjour avec cette famille qui devait durer une dizaine de jours s’est considérablement allongé, l’entente est toujours au beau fixe, alors ils m’ont proposé de faire la Transatlantique avec eux. Victoire ! J’ai mon bateau pour la Transat ! Direction ‘’Barbados’’, je n’ai aucune idée d’où cela se trouve, mais l’enthousiasme y est !

Transatlantique – Journal

 

02.01.17 – Journée sur le bateau à quai, première journée. J’apprends leurs habitudes à bord et passe du temps avec la mère, elle est toute douce. Je prends la douche de ma vie, je fais un masque à mes cheveux, quel luxe ! C’est une belle journée. Je rencontre la voisine, Natalie, une Française qui a grandi en Algérie, dans la même ville que ma mère. Je vais la voir pour qu’elle me donne un coup de main avec mon appareil photo (elle est photographe). Finalement, on n’a rien fait avec mon appareil photo, on a passé la soirée à picoler et à causer. C’est décidément une belle journée. Natalie est de loin la femme la plus intéressante que j’ai connue depuis des semaines. Née en France, elle grandit à Annaba. À 22 ans (mon âge), elle devient reporter de guerre, puis grand reporter. Sa vie est rythmée par des voyages dans des pays devenus inaccessibles aujourd’hui. Elle se marie, devient maman et arrête ses expéditions trop risquées. Elle devient photographe ‘’normale’’. Elle est belle malgré son air dur et ses traits marqués. On voit qu’elle en a chié, qu’elle s’est battue et qu’elle s’en est sorti. C’est le genre de femme qui en impose. Sa force me nourrit, même si je la connais à peine. « Quand je serais grande je veux être comme elle ».

22h : les Australiens vont dormir, je rentre avec eux un peu déçue, j’aurais aimé parler avec elle toute la nuit. C’est les soirées comme ça que j’aime. Est-ce que ça fait de moi une vieille ?

03.01.17 – J’ai pu me laver les cheveux avec du vrai shampooing, encore ! J’ai skippé avec mon papa, une bougie du sapin était mal disposée, le sapin a brûlé, puis le salon a suivi, puis une partie du reste. J’aimerais dire que je suis surprise et que c’est la première fois que ça nous arrive, mais ça serait mentir. Sérieux, pour noël prochain je lui offre des bougies artificielles. Mais ça va, tout le monde va bien, même la zete (le chat). Au moment où j’écris, je cuisine des crêpes. J’écris quand ça cuit et m’interromps pour les tourner. Ben Mazue chante ‘’les gens qui doutent’’ dans mon enceinte et l’odeur de crêpe embaume tout : comme à la maison. Tout va bien ces jours-ci, la vie est douce. Narelle est chouette, je vais rendre visite à la voisine après. Rien à déclarer.

04.01.17 soir – On est invité pour un barbecue chez Natalie. On picole du vin rouge et mangeons de la viande trop bonne, elle, Narelle et moi. Toujours la même entente avec Natalie, sérieux, j’adore cette femme. Elle me donne un conseil intéressant pour mon voyage : si un mec me fait chier, genre me mimer une pipe en se tordant de rire. Quand il passe en voiture à côté de moi qui fait du stop (les Espagnols sont les champions), il faut taper deux coups en dessus, genre mimer une sodomie. Le but : décontenancer l’adversaire. J’aime l’idée, mais je ne suis pas sûre d’avoir assez d’audace pour l’oser. On parle durant de longues heures, on refait le monde. À un moment, elle me dit qu’elle trouve admirable ce que je fais : mon voyage ! Je suis sincèrement flattée qu’une femme pareille reconnaisse mon cran, j’ai tout gagné.

Expressions drôles de Natalie :

 

08.01.17 – On n’est toujours pas partis. On attend une pièce d’un machin pour le bateau. Léo a essayé de m’expliquer, mais je capte que dal ! Il faut vraiment que j’apprenne mieux l’anglais. J’ai écrit à *, il y a trois jours et je n’ai toujours pas de nouvelle. Ou il est fâché, ou il ne veut plus de moi, ou il a besoin de temps, ou autre. Je pense qu’avec du temps, beaucoup de temps, je pourrais l’oublier. C’est insupportable de se rendre compte que rien n’est vraiment insupportable. Je me promène quand même avec un trou dans le cœur. Note à moi-même : Faire plus attention la prochaine fois ? Sur le bateau tout se passe bien. Je bouffe des livres à la pelle, deux par semaine. Cette semaine, le deuxième sexe de Simone de Beauvoir et le monde de demain de Stefan Sweig. Je joue beaucoup avec Teagen aussi. Je me sens un peu seule, j’essaye de me dire que ce n’est pas grave, pas permanent. Je me réjouis de quitter le port.

09.01.17 – J’ai vraiment du mal avec les contacts physiques avec les gens.

16.01.17 – J’ai toujours du mal. Aujourd’hui, Teagen m’a agrippée par le bras. Tous mes muscles se sont crispés et mes signaux mentaux étaient dans le rouge. C’est qu’une enfant pourtant…

18.01.17 – Je me sens seule. Je vais mourir de solitude. J’ai besoin de m’endormir dans de gros bras masculins. Ou même pas gros, juste des bras… J’ai besoin de mordre une nuque, de lécher une joue, d’embrasser un œil. Je dis n’importe quoi ! Je suis encore bourrée : merci Natalie. Je vais dormir.

21.01.17 – Narelle m’a fait goûter une de ses spécialités culinaires. Toast au beurre de cacahuète, confiture de fraises et fromage. Note à moi-même : ne plus jamais écouter Narelle.

22.01.17 – Teagen me fait un câlin, un vrai. J’étais tranquillement avachie sur le canapé et elle vient s’avachir dans mes bras. Elle m’entoure de ses bras et pose sa tignasse blonde sur mon ventre. Elle cherche un meilleur angle et me serre plus fort. Moment de panique interne, je suis extrêmement mal à l’aise et elle n’a pas l’air d’avoir l’intention de lâcher. Que faire ? Je n’ai aucune idée d’où mettre mes mains. Dans ses cheveux et la grattouiller ? Trop familier. Sur le dos ? C’est bizarre de toucher le dos de quelqu’un qu’on ne connaît pas, non ? Mais bon, ça fait plusieurs semaines qu’on se connaît maintenant. Après plusieurs essais, je l’enveloppe de mes bras et elle me prend la main. Ouf. Je crois qu’on tient une position pas trop mauvaise. Je souffle. J’essaye de me rappeler la dernière fois que quelqu’un d’autre qu’un amant m’a fait un câlin. Ça doit remonter à ma mère, il y a plus de dix ans. Dix ans… Je ne m’en étais jamais rendu compte. Par ce geste forcé, mais magnifique, elle m’a un peu libérée. On réessayera demain.

23.01.17 – Je fête mes trois semaines dans cette famille parfaite, qui me rappelle ô combien ça a toujours été le bordel dans la mienne.

25.01.17 – C’est chiant Gibraltar.

Transatlantique – pratique

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Comment trouver un bateau :

C’est sans doute la question qu’on me pose le plus : comment on trouve un bateau pour traverser l’océan. Il y a beaucoup de manières différentes de procéder, de l’embarquement organisé en ligne des mois à l’avance, au pouce levé directement sur un ponton du port, un gros sac sur le dos.

Recherche de bateau en ligne :

Sur internet, il existe plusieurs bourses aux équipiers où sont posté chaque jour de nouvelles annonces d’embarcations. Il est aussi possible de créer soi-même un profil pour que les capitaines puissent vous contacter directement. Ce moyen de procéder permet au skipper, comme au bateau-stoppeur, d’être un minimum organisé.

Sur quel site :

Il existe une dizaine de bons sites qui proposent tout un tas de navigations différentes : des ballades en méditerranée, des régates, des sorties à la journée, de la pêche en mer, des co-baturages sur de courtes distances, des activités nautiques de loisir, des croisières… Pour la transatlantique, le meilleur des sites reste pour moi la-bourse-aux-équipiers.com. Le site est en français, il n’y a pas besoin de s’inscrire pour voir les annonces, rien à payer, c’est simple et efficace. J’ai moi-même posté une annonce en 2015, qui ne m’a pas apporté de bateau directement, mais j’ai reçu plusieurs réponses de marins qui me donnaient des conseils et infos pour faciliter ma démarche. Un autre site qui marche bien est findacrew.com, mais celui-ci est payant et les annonces (beaucoup plus nombreuses) sont en anglais. Pour moi, ce sont les deux sites les plus complets, avec le plus de trafics et qui offrent le plus de chances de réussite.

Sur Facebook, il existe des pages et des groupes de navigateurs et de voyageurs. Ça peut valoir la peine de poster une annonce et de lire celles des autres. Via ces groupes, j’ai trouvé plusieurs bateaux aux Caraïbes prêts à m’accueillir à leur bord. Ça crée du bouche-à-oreille : il y a souvent un lecteur qui a un ami, qui lui-même a un autre ami, qui prévoit une navigation quelque part.

Vous pouvez aussi tenter votre chance sur les forums de voyage tels que le routard ou forumvoyage, il y a parfois des annonces de gens qui partent, de voyageurs qui recherchent un compagnon ou qui racontent leur expérience passée.

Recherche de bateau au port :

Pour moi, rechercher un bateau sur internet me paraissait presque dommage. J’aime l’aventure, le hasard, le risque qu’il y a à se ramener dans un port à l’autre bout de l’Europe, sans aucune destination fixe, ni garantie de partir un jour. Il me semble que c’est la partie la plus excitante du projet, mais elle demande beaucoup d’audace et de diplomatie (et un peu de chance aussi).

Dans quel port :

Beaucoup de bateaux partent de France, d’Espagne et du Portugal pour faire leur transatlantique. Vos meilleures chances de trouver un bateau sont sur Saint-Malo, La Rochelle, les ports au sud de l’Espagne et Gibraltar. Las Palmas et le Cap-Vert sont le dernier arrêt avant la Transatlantique, tous les bateaux s’y arrêtent pour une escale avant le grand départ, mais inévitablement la concurrence y est rude.

J’ai longtemps hésité à débuter mon voyage en bateau depuis La Rochelle, principalement pour trouver un capitaine qui parlerait français, mais je voulais visiter Grenade (Espagne) avant mon tour du monde, j’ai donc choisi Gibraltar. J’avais pour idée de voyager de Gibraltar à Las Palmas et de là, trouver un bateau pour le transatlantique ou pour le Cap-Vert. J’ai finalement été embarquée à Gibraltar pour la Transat directement, avec une escale de deux jours à Las Palmas.

La méthode la plus efficace est d’aller sur les pontons demander directement au skipper s’il serait disposé à vous embarquer. Comme ça, ça paraît assez simple, mais sur le moment ça l’est nettement moins. Le premier obstacle sera d’atteindre le ponton, souvent clos par des portails automatiques. Parfois, les bateaux sont au mouillage, il faut donc attendre qu’ils viennent à terre pour les aborder, ou alors trouver une annexe pour aller jusqu’à eux. Ensuite, il faut réussir à atteindre les gens sur leur bateau, qui sont souvent occupés ou absents. Puis, réussir à se vendre en temps qu’équipier malgré le manque d’expérience et les refus précédents qui pèsent lourd. Chaleur, fatigue et découragement risquent d’être au rendez-vous. Pensez à fabriquer des petites cartes de visite à remettre aux skippers pour qu’il puisse vous contacter facilement s’il est intéressé.

Certains choisissent des moyens moins directs. On peut par exemple laisser une annonce à la capitainerie, sur des panneaux d’affichage, les bars du coin, les laveries… Dans les petits ports, je pense que cela peut être une chance de plus, mais dans les grands axes ça ne sert presque à rien. À Las Palmas par exemple, il y a des dizaines, des centaines d’annonces que personne ne regarde jamais ou qui se font arracher par des capitaines ou pires, d’autres bateau-stoppeurs.

Certains choisissent de fréquenter les bars où les marins se réunissent et de leur parler de leur projet autour d’une bière. D’autres foncent tous les matins sur le ponton d’accueil à la rencontre des nouveaux capitaines. D’autres encore se font connaître par les gens qui travaillent ou vivent à l’année au port et trouvent un bateau grâce au bouche-à-oreille.

Peu importe la méthode que vous choisissez, essayez d’être au bon endroit à la bonne période. D’octobre à février/mars pour la Transatlantique.

 

Combien ça coûte ?

Le budget dépend du bateau, du skipper et de votre façon de voyager. On peut dépenser des milliers de francs comme pas un sou.

Pour ma part, je suis partie avec l’objectif de traverser l’océan, de Lausanne au Guatemala sans argent. J’ai donc recherché un bateau prêt à m’embarquer gratuitement. J’ai eu la chance de rencontrer un skipper intéressé par ma démarche, qui avait les moyens et qui ne m’a demandé aucune participation financière pour le voilier, ni même pour ma propre nourriture, en échange d’un gros travail de ponçage et de vernissage du bateau.

La plupart des capitaines demandent une participation à la caisse de bord, qui comprend la nourriture, les frais de port, l’essence, l’eau, les communications satellitaires, les frais de douane. La participation dépend du capitaine et doit être négociée avant le départ. En général, elle s’élève autour des 500 euros, tarif raisonnable pour un transatlantique. D’autres demandent une participation à la journée, ce qui revient en général à beaucoup plus cher.

La caisse de bord n’est qu’une partie du budget du bateau-stoppeur. Il faut aussi compter de quoi subsister à proximité d’un port dans l’attente de trouver un bateau, une attente qui peut s’avérer longue et chère suivant le pays. La note peut s’alléger si vous êtes bien organisés, si vous dormez chez l’habitant et que vous récupérez votre nourriture. Autre chose, il est rare que le capitaine qui vous embarque aille à la destination que vous aviez choisie, il faudra donc acheter un billet d’avion à la dernière minute dans des îles souvent coûteuses. À moins d’avoir le temps et la motivation de continuer le bateau-stop jusqu’au pays convoité.

 

Sur quel bateau traverser ?

Il y a différentes embarcations possibles : les voiliers, les yachts, les cargos et les ferries, mais vous avez plus de chance de traverser en visant les voiliers. La législation des bateaux de marchandises et des ferries rend presque impossible l’accès aux bateau-stoppeurs, souvent pour des raisons administratives et d’assurances, surtout sur une longue traversée. Les yachts ont pour la plupart un personnel à l’année déjà en place et n’ont donc pas besoin d’équipiers, mais rien ne les empêche de vous accueillir en tant qu’invité si vous leur êtes sympathiques.

Il est important de s’assurer de la fiabilité du bateau et du capitaine avant d’embarquer. Ça paraît évident, mais j’ai entendu tellement d’histoires étonnantes que je tiens à le préciser. N’ayant pas de grandes connaissances en voilier, j’ai contacté un ami voileux en lui décrivant le bateau et l’équipement. J’ai beaucoup parlé avec le skipper et nous avons fait une ‘’navigation test’’ avant de s’engager traverser l’océan ensemble.

Notez aussi que l’expérience de la traversée dépend beaucoup du bateau. Pour ma part, j’ai eu tout le confort imaginable sur Marloo, ce qui me convenait complètement pour une première vraie expérience de navigation, mais qui apportait moins d’aventure. Mes amis de Walden ont traversé l’océan à trois, sur un voilier de 10 mètres, à barrer huit heures par jour parce que leur pilote automatique les a lâchés après trois jours.

 

Combien de temps dure la traversée ?

Une fois de plus, ça dépend. Sur Marloo nous avons mis 6 jours pour faire Gibraltar Las Palmas. Après une très courte escale de 40 heures, c’était reparti pour 17 jours de Las Palmas à la Barbade. Un bateau de vingt mètres ira plus vite qu’un petit, ça dépend du vent aussi. Comptez une vingtaine de jours.

 

Votre travail d’équipier :

Votre participation dépend des besoins du skipper et de vos compétences. En général les équipiers aident à la navigation pour différentes manœuvres et les quarts de nuits. Il s’agit aussi d’aider à la maintenance du bateau et aux tâches quotidiennes (cuisine, ménage). Les capitaines vous embarquent également pour la compagnie, c’est long trois semaines en mer…

Pour ma part, le deal était que je ponce tout l’extérieur du bateau, que je fasse l’école à Teagen, huit heures de quart par jour et que j’aide pour la vaisselle. Je n’ai pas fait grand-chose en navigation : presque tout était automatique. J’ai juste appris quelques notions de réglage des voiles et les nœuds essentiels.

Votre expérience de voile jouera évidemment en votre faveur, mais le fait d’être novice n’est pas forcément rédhibitoire. La motivation, l’adaptation et le feeling avec l’équipage sont les plus importants. Si vous avez des compétences spéciales en menuiserie, plomberie, électricité, vous avez d’autant plus de chances d’être embarqué. À la Barbade, j’ai trouvé un bateau prêt à m’emmener en Polynésie parce que le capitaine recherchait un équipier de langue française parlant courtement anglais.

 

Flexibilité :

Pour voyager en voilier, il ne faut pas être pressé. Tout prend du temps. De tous les capitaines que j’ai rencontrés, aucun n’est parti à la date qu’il avait prévu, tantôt à cause de la météo, tantôt à cause d’un problème sur le bateau. Quant au bateau-stop, il faudra être vraiment flexible. La date de départ est aussi peu certaine que celle d’arrivée, la destination ne sera sûrement pas celle que vous convoitiez à la base. Il faut être prêt à changer vos plans.

Pour ma part, je devais partir le 5 janvier pour les Canaries, on a finalement quitté Gibraltar le 1er février. Des Canaries je visais le Panama ou le Brésil, je ne voulais vraiment pas aller aux Caraïbes, je me suis retrouvée à la Barbade. De la Barbade, je voulais partir pour Cuba, je me suis retrouvée aux Grenadines… Bref, je ne fais plus de plan.

Merdes juridiques :

Renseignez-vous sur les autorisations d’entrée et de sortie du territoire en temps qu’équipier sur un bateau. Sur certaines îles, notamment Cuba, on ne vous laissera pas quitter le navire si vous ne possédez pas une preuve de votre sortie du territoire (billet d’avion, réservation de ferry…) en tant que crew, quand vous arrivez en voilier, votre capitaine est responsable de vous.

À notre départ des Canaries, Leo (le capitaine) m’a enregistrée en temps qu’équipière sur Marloo. Arrivée à la Barbade, j’ai fait l’entrée dans le pays avec eux, avec une autorisation de dix jours sur l’île, car eux-mêmes avaient prévu de rester dix jours. Le gros problème a été pour la sortie. Pour pouvoir quitter Marloo sans que Leo n’ait de problème à sa sortie du territoire, il fallait que je m’affranchisse d’eux en réservant un vol ou un bateau, puis en allant présenter mon ticket au bureau des arrivées (bureau à plus d’une heure de notre mouillage). Il fallait aussi que Leo soit présent avec moi au bureau et reçoive l’attestation affirmant que j’ai quitté le bateau. Sans ça, apparemment, il risquait une amende. Or, j’avais prévu de partir en bateau-stop, donc je n’avais aucune preuve de sortie, donc pas moyen de quitter le bateau. On avait donc planifié de repartir ensemble à Saint-Lucie, puis de me déposer en Martinique sans m’enregistrer, pour que là-bas je sois libre de trouver un autre voilier.

Deux jours avant le départ, je rencontre l’équipe de Walden et j’ai un peu flashé sur ces chouettes Bretons buveurs de rhum (pour le cliché du marin). Je voulais donc quitter Marloo à la Barbade pour pouvoir naviguer quelques semaines avec eux. Le problème était qu’eux n’avaient pas fait leur entrée au port, et ne comptaient pas la faire, étant donné qu’ils venaient d’arriver de transat et ne restaient que quelques heures au mouillage. Sauf que pour pouvoir libérer Leo de ses obligations envers moi, il fallait qu’un nouveau capitaine me prenne en charge,  qu’il s’inscrive au port et paye une taxe de 50 US. Bref, après une longue prise de tête avec leurs protocoles, on a trouvé une solution. Les deux bateaux sont partis en direction de la marina, où Walden s’est inscrit et où Leo a pu se désengager de moi. L’inscription a pris environ deux heures d’interrogatoire abusif pour une entrée-sortie. Au point où on n’a même pas fait la sortie, nous sommes juste partis direct, on n’a pas payé la taxe et on a volé de l’eau. Des vrais pirates !

Je pense que pour aller à Cuba je réserverais un billet d’avion qui confirmera ma sortie du territoire, que j’annulerais droit derrière. Il faut aussi penser à vous renseigner sur les visas avant de vous embarquer pour une destination.

 

À prendre avec vous :

 

Le bateau-stop n’a rien à voir avec l’auto-stop :

Un dernier point qui me paraît important de préciser. J’entends beaucoup de voyageurs habitués à faire de l’auto-stop dire que : ‘’le bateau-stop, c’est comme l’auto-stop, mais en bateau.’’ Disons que le bateau-stop est à l’auto-stop ce que le roi lion est à un vrai lion. Le bateau-stop demande un engagement bien plus important, autant de l’équipier que du capitaine. La durée du voyage, le contact permanent de l’autre, la législation et les difficultés de la vie à bord en sont la cause. Notez aussi que les moyens investis dans ce voyage par le capitaine sont énormes, on ne fait pas que  »remplir une place vide », comme on le ferait en voiture.

C’est la fin de mon premier article sur mon transatlantique, basé principalement sur ‘’l’avant-départ.’’ Le prochain article sera sur le transatlantique en lui-même, mon journal de bord et d’autres points pratiques : la vie à bord, l’expérience humaine, le mal de mer, les moments d’extase et ceux d’angoisses, le temps qui passe si bizarrement… J’espère que cet article vous aura aidés à vous faire une idée de ce qu’est le bateau-stop et peut-être à vous préparer à votre départ ? N’hésitez pas à partager vos expériences en commentaire.

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