Petite : mon premier livre

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Quatrième de couverture

« Je suis née au milieu des années nonante dans une famille décomposée. On était de ces enfants qui grandissent avec une clef autour du cou, connaissent les numéros d’urgence par cœur et savent faire cuire des pâtes avant même d’être en mesure d’atteindre les casseroles. Petite, on a tenté de m’expliquer que j’avais des « origines » par ma mère et un père qui ne peut plus courir parce qu’il a trop travaillé. En classe, j’écoutais des professeurs désabusés me raconter comment réussir ma vie. Plus tard, on m’a dit que je travaillerai dans un bureau parce que c’est ce qu’il y avait de mieux pour moi, qu’assez vite j’aurai un mari, une maison, puis des enfants, qui verront le jour presque par nécessité. À vingt ans, j’ai arrêté d’écouter les gens et je suis partie. Seule, en stop et sans un sou en poche. J’ai traversé l’Europe jusqu’au Cap Nord, sans autre but que de ne pas pourrir chez moi. On peut dire que j’ai fui. C’était mon premier grand voyage. Dans ce livre, j’ai voulu raconter mes errances, mes chutes et comment la route m’a sauvée. » S. G. 

Ce livre est un roman d’apprentissage foudroyant, celui d’une petite fille qui transforme sa colère en odyssée. Avec humour et tendresse, la jeune globe-trotteuse raconte les tourments de l’enfance, son dégoût d’une société uniformisée, mais aussi son irrésistible soif d’être libre qui la pousse à dépasser ses peurs.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width= »5/6″][vc_video link= »https://youtu.be/KYwBtvWtBBQ »][/vc_column][vc_column width= »1/6″][/vc_column][/vc_row]

  Cette année a été riche pour moi. J’ai été bien plus loin que je ne l’imaginais, d’abord sur la route, mais surtout en moi-même. J’ai rencontré la mer, la voile, la nature, les Antilles, et puis l’écriture. J’ai commencé à vous parler. Un an complet autour du monde, sans argent, seule et en stop, je ne pensais jamais en être capable, mais j’en sors grandis et troublée. Quoi qu’il se passe demain, je n’oublierais jamais. Pour fêter cet anniversaire merveilleux, et parce que la première étape de ce voyage vient tout juste de prendre fin, je crois que c’est l’heure du bilan.

Dépenses durant mon année de voyage

Beaucoup d’entre vous me demandent si je voyage vraiment sans argent, et si non quel a été mon budget, voici donc les chiffres exactes de mes dépenses de l’année 2017 :

Hébergement 11 euros (une nuit en guest house à Malaga)

Nourriture 240 euros

Transport 5 euros (un bus pour rejoindre une ONG au Panama)

Equipement 88 euros (un ordinateur d’occase, du fil pour fabriquer des bracelets, un paréo et quelques produits d’hygiène)

Organisation 303 euros (80 euros pour renvoyer mes vêtements d’hiver à la maison, 223 euros le billet d’avion pour rejoindre les Sea Shepherd à Cancun)

Projets 63 euros (abonnement workaway annuel et hébergement de mon blog)

Visa 18,5 euros (taxe d’entrée des îles San Blas)

TOTAL : 728,50 euros

Cet argent provient essentiellement d’un job d’été que j’ai exercé à mon retour d’Asie en 2016, et 100 euros m’ont été donné par un couple de retraités qui suit mon blog depuis son ouverture et voulaient m’encourager. Je ne gagne aucun argent via ce blog, rien n’est monétisé, aucune pub, annonceur ou partenaire ne me rémunère.

Visa : Durant ce voyage, je n’ai payé qu’un visa. En bateau, faisant partie de l’équipage, je n’en avais pas besoin – et puis dans les îles je n’ai déclaré ni mon arrivée ni mon départ. Je précise que c’est absolument illégal mais plus simple, rapide et gratuit. J’ai pris le risque ici, mais à ne pas tenter pour Cuba par exemple et d’autres îles plus contrôlées. Pour la Guadeloupe et la Martinique pas besoin de visa, ce sont des départements français. Ensuite les frais ont été pris en charge par les Sea Shepherd lorsque je travaillais avec eux. De nombreux pays sont accessibles sans visa pour les ressortissants Suisses et Français.

Frais annexes : 600 euros d’assurance voyage payé chaque début d’année (je n’ai aucune autre couverture) – billet de retour depuis la Colombie offert par mes parents pour me permettre de rentrer à Noël.

Itinéraire

Comme toujours, je suis partie de chez moi, en Suisse. Départ le 8 décembre 2016 en direction de Gibraltar pour trouver un bateau : Lausanne – Alès – Marseille – Toulouse – Bordeaux – Pau – San Sebastian – Cazorla (magnifique) – Grenada – Malaga – Cádiz – Tarifa – Gibraltar, en environ un mois.

J’ai passé un mois à Gibraltar à caréner et préparer le bateau pour la transat avec le capitaine, et puis nous sommes partis le premier février. 28 jours de navigation, de Gibraltar à la Barbade, avec deux jours de ravitaillement à Gran Canaria.

En suite j’ai passé environ six mois dans les Caraïbes : Barbade – îles Grenadines – Guadeloupe – Dominique – Guadeloupe – Martinique – Tobago – Trinidad. Puis, fin septembre, j’ai rejoint les Sea Shepherd à Cancun pour une mission de sept semaines : Cancun – Martinique – Dominique – Guadeloupe – Dominique – Curaçao – Sainte-Lucie – Iles Vierges – et enfin le Panama. J’y ai travaillé avec l’asso GeoParadise durant près de deux mois.

Dernière ligne droite, la traversée Panama – San Blas – Colombie, où j’ai voyagé en bateau à moteur gratuitement grâce à l’asso qui organise des allers-retours pour la Colombie.

Je n’avais pas prévu d’itinéraire ni de durée dans chaque pays, je me suis juste laissée porter et j’ai suivi mes coups de cœurs – notamment pour la Guadeloupe où je me sens comme chez moi, et la Dominique qui n’en finira jamais de m’émerveiller. J’avais dès le départ pris la Colombie comme point de mire, et j’ai fini par l’atteindre (un peu débraillée) après un an et cinq jours de stop !

Comment voyager sans argent

La question par excellence : comment je fais, quelle est ma recette, mon secret ? J’aurais voulu vous donner une formule magique qui marcherait dans tous les cas de figure, mais évidemment, chaque situation est unique. Par contre je peux vous raconter mes différentes expériences et partager avec vous quelques conseils.

Pour les transports :

Je me déplace à pieds ou en stop, en voiture ou en bateau, et même en avion-stop dans les Caraïbes.

L’auto-stop est devenu presque naturel pour moi, c’est la méthode que je préfère et que je connais le mieux (environ 25’000 km parcourus déjà – à travers l’Europe, l’Asie, dans les îles et depuis peu, en Amérique Latine). Je m’émerveille toujours autant des rencontres brèves et intenses qu’offre ce mode de transport.

J’adore faire de l’auto-stop sur de grandes distances, des centaines, des milliers de kilomètres sans m’arrêter. Parfois sans même avoir de destination. C’est le moment où je me sens le plus libre, où j’ai l’impression que le monde est un vaste terrain de jeu. En général, je pars le matin de bonne heure, et j’avance. Puis selon mon envie, je m’arrête dans un coin plaisant, ou chez des gens avec qui j’ai envie de partager plus de temps. Souvent les conducteurs se prennent de sympathie pour moi et mes histoires saugrenues, me proposent de m’héberger et m’invitent à leur table pour partager un repas.

Je n’ai jamais rencontré de réel problème en auto-stop après bientôt trois ans de pratique. Deux conducteurs m’ont fait des avances que j’ai déclinées poliment avant de demander à sortir de la voiture. Avec le temps, on acquiert plus de sang-froid, de diplomatie et de facilité à communiquer ses malaises, et cela règle bien des malentendus.

Ma plus longue attente a eu lieu en Espagne – un pays où j’ai vraiment galéré – plus de 40 heures de stand by dans une station-service, jusqu’à ce qu’un routier me sorte de ma galère. J’ai aussi à quelques occasions attendu des 6 -7 heures sous une pluie diluvienne dans des coins perdus. Mais en général, si le trafic est bon, je n’attends pas plus d’une heure. Parfois – et ça m’arrive de plus en plus souvent – je n’attends même pas dix minutes.

Il m’est arrivé une seule fois en un an de ne pas avoir le courage de faire du stop et de préférer prendre un bus. C’était au Panama, je quittais les Sea Shepherd, j’avais été malade toute la semaine, je me sentais affaiblie. Je ne voulais pas partager ma peine et me traîner sur des bords de route, je n’avais pas envie de parler, alors j’ai emprunté le bus local. J’essaye toujours d’être en forme, joyeuse et motivée quand je fais du stop, comme pour laisser une bonne image afin que le conducteur ait envie de s’arrêter pour le prochain auto-stoppeur.

Entre le bateau-stop et moi, c’est un amour vache. Autant vous dire qu’en trois ans de voyage, je ne suis jamais autant sortie de ma zone de confort qu’en traversant l’Atlantique en voilier. Ma seule connaissance en navigation était jusqu’alors ma propension remarquable au mal de mer, domaine dans lequel j’excelle depuis toute petite. Trois semaines enfermée sur un bateau, jour et nuit, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige (rarement, je l’avoue), avec peu de repos et peu d’intimité.

En route pour Tobago !

Pourtant, il y a un truc qui me réjouit et me charme dans la voile. Je ne sais toujours pas le nommer ni l’expliquer, mais la mer m’attire malgré tout. J’aime le temps suspendu, les distances que l’on compte en jour, les étoiles, le vent, les levers et couchers de soleil. J’ai un souvenir très ému de la deuxième nuit de la transat, où une multitude de dauphins (je parle de centaines) ont nagé avec le bateau durant trois heures, traçant derrière eux leurs trajectoires de pontons lumineux. Je crois que c’est la plus belle chose que j’aie vue de toute ma vie. Teagen (la fille du capitaine) disait que l’océan était une discothèque, et ensuite plus personne n’a parlé, nous étions comme absorbés par le spectacle. Il n’est pas impossible que l’on ait tous un peu pleuré.

Alors malgré les difficultés, je persévère. J’apprends à garder le contenu de mon estomac en place, je m’intéresse de plus en plus à la navigation, au réglage des voiles, à la vie en mer, aux différents termes et nœuds marins. Je m’adapte, je prends sur moi, j’apprends à apprécier le malmenage des vagues et les vents salées, les quarts sous la pluie, la cuisine spartiate, les tâches nécessaires au maintien d’un bateau. J’ai embarqué sur cinq voiliers différents en bateau-stop cette année, et parcouru plus de 5’000 miles nautiques à la voile (je ne compte pas mon passage chez les Sea Shepherd car nous étions « au moteur » et non à la voile).

Je raconte comment j’ai trouvé mon voilier pour la transat dans cet article. À chaque fois la démarche a été plus ou moins la même. Je rencontre les capitaines directement sur les pontons, à la capitainerie où il m’arrive de laisser des annonces, ou dans des bars de la marina. Parfois je déniche un bateau en partance par simple bouche à oreille. J’ai toujours trouvé un bateau où loger dans les ports, ce qui m’a permis d’être sur place et prête à embarquer à tout moment. Je n’ai encore jamais fait usage de bourse aux équipiers en ligne.

Je sais que certains d’entre vous attendent l’article de ma transat depuis des mois, mais je n’arrive toujours pas à en écrire un mot, tant l’expérience m’a été forte, riche, déstabilisante. Promis, un jour !

Lors de mon départ de Guadeloupe le 20 août, j’ai volé ! Dans les airs, pour de vrai, pour la première fois depuis mon retour d’Asie. Ce fut ma première expérience en avion-stop. Quelques semaines auparavant, je m’étais rendue dans un aéroclub de Saint-François avec mon amie Val pour demander aux pilotes si quelqu’un avait prévu un départ prochainement, et s’il me serait possible de partir, peu importe la destination. Aucun vol n’était prévu, je venais de louper de deux jours le départ d’un pilote pour une île au sud des Antilles (dont le nom m’échappe).  Le patron de l’aéroclub (super sympa), m’offrit un tour d’ULM jusqu’à la Pointe des Château, et c’était magnifique. J’ai quand même laissé mon contact à l’aéroclub, « au cas où ».  Un jour, environ un mois plus tard, j’ai reçu un appel de Simon qui me proposait de voler avec lui jusqu’en Martinique : ‘’départ dans deux jours’’. Mes plans avaient un peu changé entre-temps, j’avais prévu de voyager quelques semaines avec Baptiste, que je venais de rencontrer après sa traversée de l’Atlantique en Pédalo. Je n’étais pas du tout prête à partir. Simon m’a alors proposé de venir avec Baptiste, et nous avons emballé toutes nos affaires en un temps record, et l’avons rejoint à l’aérodrome de Pointe-à-Pitre sans aucun autre plan en tête. Moins d’une demi-heure plus tard nous atterrissions (tout perdus) en Martinique.

Je n’ai pas eu l’occasion de retenter l’expérience pour le moment, et j’ai peu de conseils à vous donner pour cette pratique, mais je crois qu’il suffit d’oser se lancer. Ne pas être trop pressé, trouver un aéroclub ouvert au public, parler de son projet avec les employés et les pilotes. Il ne reste plus ensuite qu’à faire confiance à la chance !

 

Pour l’hébergement :

Je passe souvent mes nuits chez les gens que je rencontre durant la journée, mes chauffeurs principalement. Si je ne rencontre personne pouvant m’accueillir, ce qui est plutôt rare, je sollicite l’hébergement auprès d’inconnus qui m’ont l’air sympathiques. Il m’a fallu des mois et des mois pour oser accoster quelqu’un dans la rue ou un parc, et lui demander si je pouvais dormir chez lui. Je n’ai toujours pas la classe infinie d’Antoine de Maximy, mais j’y travaille ! Je raconte mon projet et demande – sans insistance aucune – si la personne serait d’accord et contente de m’accueillir chez elle. Je précise que je suis dans une démarche sans argent qui m’est personnelle, que c’est un choix, que je ne lui en voudrais aucunement de refuser. Souvent elle accepte. Parfois il m’arrive aussi (de plus en plus rarement) de me servir de la plateforme couchsurfing pour trouver des hôtes. J’adore le couchsurfing car j’y ai souvent été hébergée par des voyageurs en pause, où en tout cas des gens déjà ouverts à l’idée d’accueillir un étranger chez eux. Je n’ai jamais rencontré aucun problème avec mes hôtes (qu’ils soient hommes, femmes, vieux, jeunes, d’Europe, d’Asie ou des îles). Je suis contente que le couchsurfing ait été là pour m’aider à me lancer. Cela reste un filet de sécurité pour moi, même si aujourd’hui je préfère de beaucoup l’idée de dormir chez des gens pas forcément enclins à accueillir quelqu’un chez eux à la base. Et de leur donner l’envie de recommencer.

Il m’est cependant arrivé dans quelques rares cas (six nuits durant ce voyage, onze lors de ma traversée de l’Europe) de ne rencontrer personne prêt à m’accueillir. Lorsque cela arrive, j’essaye de trouver un lieu où je me sens en sécurité pour me reposer quelques heures. J’ai déjà dormi dans un aéroport, une gare, entre deux étages d’un immeuble, dans une cage d’escalier, une station-service, la réception d’un hôtel (qui avait accepté ma présence sur son canapé tant que je restais assise), un musée, chez les pompiers, et sur quelques bancs. Dans ces cas -là, je ne dors pas vraiment, je somnole, et je repars le lendemain à la première heure. Il m’est arrivé une fois de craquer, en Espagne toujours, après trois nuits de galère en plein hiver – j’ai réservé un lit dans un Guest house à Malaga. Ce fut la seule fois entre mes deux voyages sans argent.

Lors de ce voyage, il m’est également arrivé de dormir seule en pleine nature. J’ai acheté un hamac avant mon départ, un truc super avec une moustiquaire et une bâche (la bâche me servant aussi de veste de pluie). J’ai surtout dormi dans la jungle en Dominique et au Panama, en prenant soin de m’éloigner au maximum des traces humaines. Je ne m’explique pas encore ce phénomène, mais quand je voyage dans la nature, ce sont les humains qui me font le plus peur (alors que d’habitude je recherche leur présence). Je me rappelle de mes premières nuits dans la jungle quand, au moindre bruit, je bondissais avec mon couteau en criant. Ça me fait rire aujourd’hui, mais la solitude m’a parfois rendue paranoïaque ! Quand je m’enfonce dans la nature, j’essaye de trouver quelqu’un qui puisse me prêter du matériel pour cuisiner et une carte, je me renseigne sur les plantes comestibles locales, sur les animaux ou insectes auxquels je dois prêter attention. Je transmets vaguement une idée de mon programme à un ami, même s’il change souvent. Et je pars sans téléphone ni balise – sans filet de sécurité – en concentrant toute mon attention à ne pas tomber ou me perdre.

 

Aujourd’hui j’ai acquis quelques notions de vie sauvage, mais c’est une pratique que j’aimerais beaucoup approfondir en 2018. Je voudrais marcher des mois seule dans la nature, apprendre d’elle, me nourrir d’elle, et ne plus la craindre. J’ai parfois du mal à comprendre comment l’homme moderne a pu s’éloigner autant de la nature, et penser qu’il peut trouver son équilibre sans même la considérer. Aujourd’hui j’aimerais bien lui accorder une place encore plus grande dans ma vie. Je pense donc que mes prochains projets se passeront en immersion et à pied. Idée à creuser !

Pour manger

Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, je suis souvent invitée à manger par un grand nombre de personnes, qui, en plus de m’accueillir et de m’offrir de la nourriture, me fêtent ! Ce sont pour moi des moments de joie inouïe.

Quand personne ne m’invite, j’essaye de trouver ma propre nourriture. Je glane les vivres encore comestibles qui ont été jetés à la poubelle des super marchés ou des épiceries, je demande à récupérer le vieux pain des boulangeries, les légumes moches ou invendus de fin de marché. Parfois des pêcheurs m’offrent un poisson parce qu’ils en ont assez pêché pour eux (c’est beaucoup arrivé dans les îles). Quelquefois, il m’est arrivé d’échanger un repas dans un restaurant contre de l’aide pour la vaisselle ou pour les nettoyages. Ma solution de secours, l’ultime, quand j’ai vraiment faim/froid/soif, consiste à m’installer dans un fast food, à récupérer un gobelet pour me servir à la fontaine de soda et à m’enthousiasmer devant des restes de frites molles. Dans la nature je mange principalement des noix de coco, mâche de la canne à sucre et des racines. En Norvège je pêchais beaucoup, mais ayant cassé ma canne avant d’atteindre les Caraïbes cette année, j’ai dû faire sans.

Désormais, j’essaye de trouver de la nourriture avant d’avoir faim, car quand le ventre gargouille cela devient compliqué. Néanmoins, mon estomac s’est habitué à ne plus manger aussi régulièrement qu’à la maison et encore moins à heure fixe. Je mange quand je peux, en général un bon repas par jour. Il m’est arrivé de ne rien manger pendant trois jours, mais cela reste du domaine de l’exception.

Pour plus de conseils par rapport au Freeganisme, je vous invite à lire les articles d’Astrid d’Histoire de Tongs. D’ailleurs son blog est une mine d’informations, elle a écrit beaucoup d’articles pratiques sur le voyage alternatif, le stop, la vie en van ou sans argent. Je vous le conseille mille fois.

Pour tous les autres conseils pratiques, j’ai lu et relu durant des mois la Bible du Grand Voyageur, que je vous conseille également.

Volontariat

Durant cette année de voyage, et c’est la grande nouveauté pour moi, j’ai commencé à pratiquer le volontariat. Je me suis rendu compte qu’en ne travaillant plus au sein d’une entreprise, j’avais énormément de temps à consacrer à d’autres projets, notamment écrire des textes. J’ai aussi pu m’investir dans différentes causes visant à aider mon prochain, ce qui pour moi compte autant que le voyage et l’écriture.

J’ai participé à trois projets durant cette année 2017 :

Le premier était un bénévolat sur l’île de la Dominique, au cours duquel pendant un mois et demi j’ai pris soin de trois garçons (3, 5 et 10 ans) habitant dans la jungle. L’idée était de leur proposer des activités de plein air et de leur faire l’école à la maison. Je me suis énormément attachée à Souley, le plus grand, avec lequel je partais à la plage ainsi qu’à la recherche frénétique de noix de coco. Il me manque tous les jours et j’espère le revoir vite.

Ensuite, j’ai rejoint les Sea Shepherd pour une durée de six semaines. J’ai participé à la campagne « Good Pirates of Caribbean » qui venait en aide aux sinistrés d’Irma, et dans l’urgence, à ceux de la Dominique. C’est dans ce cadre-là que j’ai lancé une seconde campagne Urgence Dominique. Une fois la campagne terminée, nous sommes partis au Panama où j’ai débarqué.

Le troisième projet dans lequel je me suis investie cette année a été mené auprès de l’ONG GeoParadise qui œuvre au Panama dans le but de venir en aide aux populations indigènes. Depuis 2011, l’organisation travaille à améliorer la qualité de vie des tribus, tout en les aidant à conserver leur culture et leur héritage menacés. En 2013, le festival Tribal Gathering est né, un événement durant lequel se rassemblent chaque année des tribus du monde entier ainsi que des visiteurs pour un échange culturel de trois semaines. Mon travail auprès de l’association consistait à synthétiser tous les projets ayant eu lieu depuis 2013, ainsi que ceux prévu pour l’année 2018. J’ai créé un fichier PDF de douze pages et les textes de leur nouveau site internet. J’y suis restée durant un mois et demi.

Dans ces trois projets, j’ai eu la chance de m’épanouir, d’apprendre sur moi, sur les autres, mais surtout de découvrir une manière de travailler très différente de celles que j’ai connues jusque-là. Le travail bénévole m’apporte plus de plaisir et de valeur que s’il était rémunéré, peut-être par la part d’engagement. Dans les trois cas j’ai été nourrie logée et je n’avais aucune dépense à prévoir (excepté le vol pour rejoindre les Sea Shepherd au Mexique). J’avais trouvé le premier bénévolat en Dominique grâce à la plateforme WorkAway. Pour le Sea Shepherd j’ai postulé sur leur site internet, et pour GeoParadise je les ai contactés par mail via leur organisation, que je connaissais déjà grâce au festival.

Au départ je voulais m’engager dans l’humanitaire mais à force de me renseigner, j’ai renoncé. Beaucoup d’actions humanitaires sont devenues du simple tourisme, une forme de business allant parfois jusqu’à détruire l’équilibre fragile de certains villages. N’ayant ni pratique précise à offrir, ni suffisamment de connaissances pour démêler les bonnes actions des mauvaises, j’ai préféré laisser tomber.

Pourquoi voyager sans argent

C’est la question que l’on me pose le moins, mais qui pourtant tourne en boucle dans ma tête depuis plus de deux ans. Après 16 mois de voyage sans argent – dont cette année complète et mon premier projet en Norvège – je ne suis toujours pas très sûre des raisons d’un tel choix. Parfois je doute carrément de ma démarche.

Lors de mon premier voyage de quatre mois à travers l’Europe, j’ai parcouru près de dix mille kilomètres en stop pour reprendre confiance en l’être humain. J’avais été profondément blessée par l’agression de l’un de mes proches l’année précédente, et je m’enfonçais dans la haine ; dans la colère, la peur et la tristesse. Je devenais quelqu’un que je ne voulais pas être. Alors j’ai préféré la route à la violence, dans un ultime élan que je ne conscientise toujours pas totalement aujourd’hui. J’ai choisi de partir sans argent suite à une drôle d’aventure qui m’est arrivée à Toulouse, que je vous ai déjà racontée ici. C’est ainsi que je suis partie en avril 2015 avec l’objectif de rejoindre le Cap Nord, sans cash, sans carte de crédit, sans itinéraire précis ni matériel adéquat. Je voulais juste arriver au Cap Nord, sans plus de raison que ça. J’y suis parvenue le 29 juillet 2015, une date que j’affectionne particulièrement, que je fête plus que n’importe laquelle. Puis je suis rentrée chez moi, en stop toujours. Ce voyage fut extraordinaire, une découverte incroyable, une renaissance, une ouverture sur un monde que je ne connaissais pas, une bonne grosse claque. C’est d’ailleurs le sujet du livre que j’écris actuellement.

En fin d’année 2016, j’ai à nouveau ressenti ce besoin de partir, sans argent, sans itinéraire, sans date de retour, avec un matériel un peu moins merdique mais très minimaliste. Je voulais faire le tour du monde sans argent. J’aime l’abandon, le lâcher-prise, l’urgence parfois, que je ressens en voyageant sans argent. Chaque jour est nouveau, aucune situation ne se répète, je vis de système D et de rencontres, et cette vie me plait plus qu’aucune autre. Elle me correspond je crois.

Mais au-delà du plaisir, je sais que ma démarche est avant tout une recherche, une quête. Je suis un peu extrême comme fille, et j’ai choisi de me passer d’argent dans mon quotidien (hormis quelques exceptions citées au début de l’article), comme pour le remettre à sa place. Ou plutôt, m’aider à trouver sa juste place dans ma vie. Je m’explique : depuis ma naissance je grandis dans un monde où l’argent existe, est capital et établi pour chacun de nous. Moi je m’en suis toujours plus ou moins servi, sans jamais me questionner sur son existence, c’était normal, il était là, c’était indiscutable. Mais d’un coup, j’ai eu envie de discuter, envie de me passer d’argent pour tester autre chose, un autre partage ; un retour au troc et à l’échange. J’ai eu besoin de supprimer totalement l’argent de ma vie, pour ensuite pouvoir lui accorder une place plus juste dans mon quotidien. Je n’ai rien contre l’argent – c’est un outil comme un autre – mais malheureusement on s’en sert souvent mal et je voulais renouer un rapport sain avec. Cette coupure s’avérait nécessaire.

Hormis cela, il y a toute la dimension humaine d’un tel voyage. Dans notre société, le fait de demander de l’aide ou même d’avoir besoin de l’autre, est considéré comme une honte ou un signe de faiblesse. Et je trouve ça malheureux, dommageable, terriblement triste. On en est arrivé à un stade où tout se paie (et tout peut s’acheter), où l’on s’enferme chez soi, où l’on ne regarde même plus son voisin – si ce n’est pour le critiquer ou se comparer. Apprendre à demander a été un pas très important dans ma vie. Je crois même que cela m’a appris à mieux donner. Je fais en sorte de ne jamais forcer la main de qui que ce soit ; ne jamais tomber dans la pitié ou l’obligation, mais bel et bien dans un échange joyeux et respectueux. Je crois, et je l’espère vraiment, que les gens qui me viennent en aide le font par plaisir, que cela leur fait du bien, autant qu’à moi quand j’ai la chance d’offrir en retour.  Je crois sincèrement que la gratitude – comme la générosité – rendent heureux.

Les voyages, l’aventure, les rencontres me comblent et me rendent profondément heureuse, malgré les difficultés, l’énergie que cela me demande et les manques que je ressens parfois. Je suis devenue quelqu’un de meilleur et je crois que je transmets mes joies et mes espoirs plutôt bien. Je continue à espérer que ce que je fais a un sens et même si je ne l’ai pas encore totalement trouvé, je crois que je suis sur la bonne voie.  Il y a un adage auquel je m’accroche quand je doute (très souvent) ou que je ne sais pas quelle décision prendre – en voyage ou dans n’importe quel contexte : « n’est juste que ce qui est fécond », de Goethe. Il n’était pas con ce gars-là ! 😊

Les projets de 2018

– Ecrire mon livre, et le voir publier. C’est mon objectif principal pour les six prochains mois, écrire, écrire et écrire, enfermée dans ma chambre et clouée à mon siège, jusqu’à ce que j’aie couché sur le papier tout ce que j’ai envie de dire depuis si longtemps, et que le contenu me plaise assez pour l’envoyer à mon éditrice.

–  Intervenir au festival des Jeunes sans Frontières d’Avignon en février, comme chaque année quand je suis en Europe.

– Voyager. Je ne sais pas où ni quand, mais partir en stop, sans argent, partir rencontrer les vivants quelques mois entre mon livre et le Trek. Reprendre mon tour du monde depuis la Colombie et traverser le Pacifique, ou partir par l’Europe de l’est, ou autre ?

– Travailler un peu, si besoin.

Merci de m’avoir lue les amis, encore une fois ça m’a fait du bien de vous écrire. J’espère que cet article vous aura permis d’en apprendre plus sur mon voyage et mon projet qui va au-delà de la prouesse que peuvent représenter autant de kilomètres au compteur sans dépenser d’argent (ou le moins possible). C’est avant tout une recherche d’amour et de partage. Un message de paix.

J’espère que votre année a été aussi belle que la mienne, et je vous remercie une nouvelle fois, de tout mon coeur, pour votre soutien. ♥ ❤ ❥

 

Après l’ouragan en Dominique…

J’ai appris pour la Dominique le matin du 22 septembre, avec trois jours de retard sur le reste du monde. À ce moment-là, je traversais la mer des Caraïbes de Cancun à Curaçao, à bord du ‘’M/V John Paul Dejoria’’ des Sea Shepherds. Nous avons navigué pendant cinq jours, mais nous avions une connexion internet à bord du bateau. J’avais entendu ‘’vite fait’’ parler de Maria, un ouragan annoncé de catégorie 1, j’avais à peine relevé l’information. Je me rappelle m’être dit que ça allait être de la rigolade après les folies d’Irma. L’ouragan le plus destructeur de ces dernières années avait frappé quelques jours avant, et il me paraissait impossible que cela se reproduise, ‘’la nature ne frapperait pas un homme à terre’’. J’allais bientôt apprendre que si.

J’avais rejoint les Sea Shepherds au Mexique pour une mission appelée ‘’Good Pirates of Caribbean’’. C’était une campagne visant à venir en aide à St-Martin après le passage de cette fameuse Irma. C’est impressionnant comme aujourd’hui les prénoms d’ouragans habitent ma vie et me paraissent communs, alors que jusque là, je n’y avais jamais vraiment prêté attention.

Cette mission, ce tournant dans mon voyage, faisait sens avec mon itinéraire de cette année. Début mars 2017, j’étais arrivée à La Barbade , un peu par hasard, un peu parce que j’avais pris le premier bateau qui passait, parce qu’il fallait que je quitte l’Europe, vite. J’y suis donc arrivée début mars, bancale et perdue, après des semaines en mer qui m’avaient bien retournée. Je n’ai jamais rêvé des Caraïbes. D’abord je ne voulais pas y aller, ensuite je ne voulais pas y rester, mais au final, c’est l’endroit du monde où j’ai passé le plus de temps durant un voyage. Plus de huit mois à découvrir les différentes îles à la voile, à pied, à terre, en avion-stop… Je suis tombée sous le charme de la Dominique et de la Guadeloupe, et sans même m’en rendre compte, j’ai passé trois mois sur chacune d’elles, développant des habitudes, des connaissances, un réseau de locaux devenus mes amis proches.

C’est donc le 22 septembre que la nouvelle est tombée pour moi, mais je crois que je l’avais senti avant, je n’avais juste pas eu le courage de taper ‘’Dominica’’ ou ‘’Maria’’ dans ma recherche Google. J’ai demandé à un autre membre de l’équipage s’il avait eu des nouvelles, s’il pouvait regarder pour moi. Il a mis ses deux mains à plat et les a frottées, comme pour mimer le plat. Devant mes sourcils froncés, il m’a dit que l’île était ‘’mashed’’. Mon pauvre vocabulaire anglophone gagnait un mot : Mashed – En purée, broyé. La Dominique, elle, avait tout perdu.

Ma première pensée est allée à Souley, un enfant avec lequel j’ai passé cinq semaines à Castle Bruce lors d’un volontariat, et qui m’avait particulièrement marqué. Avec le pressentiment d’une catastrophe, j’ai cherché à avoir des nouvelles de lui et sa famille, de ceux qui vivaient avec eux. Très vite, j’ai appris que Souley, son frère et sa mère étaient en sécurité, en vacances en France. Leur père et les autres habitants de la communauté, Sian et Mario, étaient toujours en Dominique et n’avaient pas encore donné signe de vie. Je tombais sur l’oreiller, et passais des heures « wrappée » dans un duvet en position fœtale, le corps envahi de grands frissons. J’avais mal aux reins, à la tête, aux os, au cerveau. Un jour sans nouvelles, puis deux, puis trois.

La Collecte

Il fallait faire quelque chose, n’importe quoi, retrouver mes amis, leur apporter de l’aide, de quoi manger au moins… Il fallait à tout prix que je sorte du bateau, même si ça voulait dire ne plus être une Shepherd, même si je n’étais absolument pas sûre de mon coup. Il fallait prendre le risque. Par Dieu sait quel hasard, la trajectoire du John Paul Dejoria avait un peu changé, et les bons pirates des Caraïbes avaient été mandatés par la Croix-Rouge pour livrer des tonnes de bâches aux sinistrés de la Dominique. C’était ma chance de quitter le bateau. J’en ai parlé au manager de la mission et lui ai demandé de me débarquer ; à ce moment-là, je n’avais aucune idée de quoi faire. Le plan arriva par la suite : il fallait que je rejoigne la Guadeloupe pour organiser une énormissime collecte à ramener en Dominique, et que je la distribue sur place dans les villages reculés où vivaient mes amis. Le manager me proposa  mieux : ‘’tu fais ta collecte en Guadeloupe, et lorsqu’on redescend les Antilles, si ta collecte est assez conséquente, on t’aidera à la transporter de la Guadeloupe à la Dominique’’. J’avais une semaine.

Le 26 septembre vers 9h30, le cœur battant un peu plus que de coutume, je débarquai du JPD en Martinique. Benoît m’accompagna un bout à pied (Ben, c’est le joli blond des photos – mais on en reparlera sûrement). Je fis de l’auto-stop jusqu’à la marina de Fort-de-France et montai illégalement dans un ferry pour la Guadeloupe. Je sais, c’est mal, mais il y avait urgence et je n’avais pas le temps pour le bateau-stop. Malgré cette mission particulière, je continuais à vivre et me déplacer à ma manière. Je n’avais donc ni véhicule, ni téléphone portable, ni même argent sur moi, ce qui me compliquerait souvent la tâche. J’arrivai le soir même en Guadeloupe, et je découvris alors des dizaines de bonnes raisons de me dérober. Mais au lieu de ça, je fis une liste.

Créer un site internet, une cagnotte, un compte en banque, un visuel. – Communiquer sur la campagne, passer à la radio ? Dans les journaux ? – Organiser des collectes à la sortie des supermarchés, obtenir l’autorisation des directeurs, trouver des véhicules, des volontaires, créer des affiches. – Trouver un lieu de stockage proche de la marina, des myriades de cartons, un téléphone portable pour appeler machin… – Organiser une soirée caritative, trouver une salle, rameuter le monde. – Empaqueter, faire les achats avec les dons, être prêt pour l’arrivée du bateau. – Commencer à organiser la distribution sur place, trouver des contacts, un camion.

Très vite je trouvai de l’aide. Jordan, du Spot Coworking pour tout ce qui touchait à internet (il a notamment créé le site www.urgencedominique.com en une après-midi) et François, le créateur de ‘’Gwada Connexion’’,une page Facebook recensant 45’000 personnes en Guadeloupe, pour la communication. Ces deux messieurs furent mes plus grandes aides. Je pus aussi compter sur mon amie Madeline qui m’hébergea toute la semaine, sur mon Baptiste qui, depuis les Etats-Unis, obtint des accords de supermarchés grâce à son réseau en Guadeloupe, sur Keyane pour le logo et les flyers, sur Cassandre pour la vidéo, l’association Gratifiera pour le local et l’empaquetage, RCI et France Antilles pour les médias, et à une flopée de volontaires qui ne comptèrent pas leurs heures pour donner vie à ce projet. J’ai été surprise de voir à quel point les gens se sont investis pour m’aider. Ça n’a pas été simple, mais sans eux je ne serais jamais arrivée à un tel résultat. Chacun a ajouté sa pierre, et au final on a érigé quelque chose de grand. Comme quoi, c’est possible.

Malgré tout, la semaine fut très éprouvante. Le cerveau bouleversé, j’essayais de maintenir ma tête hors de l’eau, mais je n’étais jamais bien loin de la noyade. Je dormais entre 4 et 5 heures par nuit, j’en oubliais de manger, chaque nouvelle complication me donnait un coup au moral. Une suite d’insomnie, de cauchemars, de maux de tête, mais je tenais bon. Je me disais que ce que j’accomplissais-là était bien l’acte le plus important de toute ma vie. Je retournerais en Dominique, serait-ce sur les genoux.

La collecte en chiffres :

La collecte dura du 27 septembre au 4 octobre ; le bateau JPD arriva le 4 au matin à la Marina de Pointe-à-Pitre. En une semaine je réussis à collecter 9’760 euros de dons financiers, entre la cagnotte en ligne et un événement qui a eu lieu en Guadeloupe le samedi 30 septembre. Sur 3 collectes organisées devant des super marchés, 3 tonnes d’eau, 1 tonne de nourriture et 500 kilos de produits d’hygiène furent récoltés. Thomas, un jeune homme qui avait fait une collecte de son côté, l’associa à la mienne et ajouta 1600 euros à la cagnotte, qui furent utilisés pour acheter plus de nourriture et de la petite quincaillerie (bougie, allumettes, gros scotch…) Estimant que nous avions ‘’assez’’ de vivres pour permettre à 3 villages de vivre correctement durant quelques semaines, je décidai de consacrer une grosse partie de la somme d’argent récoltée (environ 6’300 euros) à l’achat de groupes électrogènes, d’outils et de bâches pour permettre aux habitants de reconstruire leurs maisons, d’avoir de la lumière et un peu d’électricité. Une grosse génératrice de 400 kilos, capable d’alimenter un village entier, nous fut également donnée par un particulier en Guadeloupe. 2500 euros permirent d’acheter des médicaments et du matériel pour réapprovisionner des centres médicaux de l’île. Le reste de la somme (environ 1000 euros) fut dépensé pour acheter des tongs, des bidons, des hamacs, des gourdes, des crayons, des ballons et d’autres objets pour les enfants.

La distribution

Nous sommes partis le 5 octobre pour la Dominique, et là-bas, tout s’est passé très vite. Les Sea Shepherds avaient d’ores et déjà des contacts sur place et ont réussi à m’avoir un camion pour deux jours, avec un chauffeur et deux militaires pour m’escorter. La première journée fut très dure moralement, les Sea Shepherds voulant travailler avec le gouvernement, j’ai dû un peu montrer les crocs pour que la collecte ne parte pas aux mains de ministres, mais bien directement dans celles des sinistrés. Après maintes discussions et quelques haussements de ton, nous avons trouvé un accord : je faisais ce que je voulais, mais tout devait être répertorié et photographié officiellement, je devais rendre des comptes à une ministre (de je ne sais plus quoi), et ai dû lui donner une palette de nourriture et une seconde de bouteilles d’eau. Mon manque de diplomatie et mon dégoût de l’Etat ont été très durs à gérer sur le coup : pour la première fois depuis bien longtemps je me suis énervée. J’ai même crié sur Ben, qui, depuis ce jour, m’affuble du surnom du « Grinch ». Vous voyez le gros monstre vert poilu, qui vit dans une grotte, déteste noël et fait peur aux enfants ? En fait c’est moi.

Tout ça pour rien au final, car la négociation s’est montrée payante, voir indispensable. J’ai notamment eu l’autorisation d’aller partout sans me faire bloquer par les autorités ou devoir payer des taxes folles aux douanes. Le second défi a été pour moi de me faire prendre au sérieux par les gens avec qui je travaillais sur place (les chauffeurs, les organisations, les gens de l’Etat), en tant que femme. Les questions me concernant directement étaient posées à mes collègues hommes, mes demandes absolument pas prises en compte, jusqu’à ce que je passe par mes collègues hommes, justement. Cette fois-ci je laissais couler, me disant que la cause valait plus que mes idéaux ou mes blessures d’amour propre.

Au final je m’en suis sortie, et le 6 octobre à la première heure, nous prenions la route. Nous, c’est Jordan du Spot Coworking (que j’avais réussi à embarquer avec moi sur le JPD), Samantha la photographe des Sea Shepherds (à qui l’on doit toutes les images de la distribution), le chauffeur et les deux militaires. Nous partions pour les villages de Castle Bruce et des Kalinagos, à deux heures de route de là. Jordan et moi avions des contacts sur place, et nous avons « retourné » le village pour les trouver. C’était une tâche compliquée car le paysage ne ressemblait en rien à celui que j’avais connu et les réseaux téléphoniques étaient coupés. Finalement, on a retrouvé Dino (rasta des Kalinagos) et Astrid (l’amie du père de Souley à Castle Bruce), et leur avons remis des vivres à distribuer dans leurs communautés respectives.

Pendant que nous roulions sur le chemin du retour, une vielle dame dans son jardin accrocha le regard de Jordan, et le retint. Alors il frappa super fort sur le bord du camion pour que le chauffeur s’arrête. Il râla un grand coup, mais il s’arrêta. Nous lui demandâmes ce dont elle avait besoin et préparé un carton plein de vivres. En le portant jusqu’à chez elle (c’était trop lourd pour la laisser le porter seule), elle nous invita à entrer. Son toit coulait, il n’y avait plus rien à manger dans ses placards et il lui restait environ 2dl d’eau dans sa réserve… Les vieux ne demandent rien (et par conséquent ne reçoivent rien), les vieux sont fatigués, les vieux ne devraient pas avoir à vivre ça… J’ai eu le cœur brisé par cette vision et on lui a donné tout ce que l’on a pu pour l’aider : plus de nourriture, encore plus d’eau, une bâche de dix mètres pour son toit… Elle nous a remerciés et nous sommes remontés sur le camion, un peu tremblants sur nos pattes. Je pense que je n’oublierai jamais les yeux de cette femme-là. Cette rencontre donnait tout ce sens à nos efforts. Nous nous sommes arrêtés devant d’autres maisons par la suite, et toujours, les gens recevaient nos dons avec une gratitude immense.

Le deuxième jour, je repartais avec le chauffeur, les deux militaires, Jordan, Samantha et Jody (une autre Crew du bateau, la cuisinière et maman de notre équipage). Nous partions en direction d’un village appelé Bellevue Chopin, à une petite heure du bateau. Pour moi c’était capital de m’y rendre. L’été passé, je m’étais aventurée seule, en autonomie, sur les traces du Waitukubuli National Trail, un chemin de randonnée de 185 kilomètres qui traverse toute la Dominique. Mais après seulement trois jours, j’ai failli abandonner. J’étais fatiguée, je m’étais blessée au genou, toutes mes affaires étaient trempées et je m’étais fait attaquée par une sorte de  »punaise de jungle », qui m’avait infligé des centaines de morsures sur tout le corps. J’étais dans un sale état, mais à la fin de cette troisième journée, j’ai rencontré Laure. Laure m’a accueillie chez elle, elle m’a cuisiné des spaghettis bolognaise que je n’oublierai jamais tellement elles étaient bonnes, elle m’a offert son lit, une bonne douche, elle m’a aidé à sécher mes affaires et donné de l’argent pour avoir de quoi soigner mes piqûres. Le lendemain matin, je repartais comme neuve.

C’est chez elle que je me suis rendue pour mon deuxième jour de distribution. J’ai rempli un camion de vivres et je suis partie à sa recherche, dans son village perdu. Et je l’ai retrouvée. Elle allait bien, elle avait la pêche comme toujours, et était plutôt surprise de me voir débarquer. Beaucoup d’émotion donc, nous étions les premiers à aller jusqu’à Bellevue Chopin depuis l’ouragan, les premiers à apporter des vivres dans leur village. Elle m’a raconté un peu de leur quotidien depuis l’ouragan, le manque d’aide, le manque d’eau, la détresse de chacun. Elle était dégoûtée de l’égoïsme et de la basse hypocrisie dont faisait preuve l’Etat. Les dégâts de l’ouragan étaient nettement minimisés, notamment le nombre de morts. Quinze morts ont été rendues publiques. Le village voisin,  totalement ravagé, en comptait seize à lui seul. ‘’Des gens sont morts dans leur maison et personne ne va chercher les corps…’’

J’ai déchargé chez elle un camion plein de vivres, d’outils, deux groupes électrogènes… Quelle joie pour moi de pouvoir rendre un peu, à elle et son entourage, de tout ce qu’ils m’avaient offert si naturellement lors de mon passage cet été. Elle s’est chargée ensuite de redistribuer une part équitable à chaque membre de la communauté. Malheureusement, je n’ai pas pu dormir sur place, car j’avais une autre livraison à faire, mais Jordan est resté avec eux et Laure m’a envoyé plein de photos.

De Bellevue Chopin, Jody, Sam et moi avons pris la route en direction d’un village nommé la Pleine, au sud-est de l’île. Encore une fois, nous avions beaucoup de route, quasi cinq heures l’aller-retour. J’avais choisi d’aller là-bas car c’est l’un des endroits les plus isolés de l’île, et personne ne s’y rend vu les distances. Nous étions une fois de plus les premiers à nous y aventurer, et les besoins dans ce village (et celui de Délice juste à côté) étaientt colossaux. Ce fut la plus éprouvante des distributions.

Ne connaissant personne là-bas, nous avions décidé de nous placer dans différents coins du village avec le camion et de donner directement un carton de nourriture à chacun. Très vite – trop vite –  la nuit tomba et notre mission se compliqua. Ça devenait dur de voir ce que nous donnions, de voir ce qu’il nous restait, et rapidement un attroupement se forma autour de nous. Les gens s’impatientaient, criaient et essayaient de monter sur le camion. On nous secouait de tous les côtés. Ce n’était pas violent, ni vraiment dangereux, seulement l’activité naturelle de personnes affamées qui en ont marre d’attendre. Jody s’est mise à paniquer : ‘’Merde ! Triple Merde ! On fait quoi maintenant ? Saraaaaah ?!’’ Moi j’essayais de garder mon sang-froid, mais pour la première fois, j’avais peur. J’avais peur de la peur de Jody – je voulais la rassurer mais je ne la voyais même pas -, j’avais peur que nous nous fassions agresser, mais surtout, je craignais que les militaires ne deviennent physiques. Je les voyais s’échauffer eux aussi. Alors pour calmer le jeu, je demandai aux gens de se mettre en ligne. On arriverait ainsi mieux à estimer le nombre de cartons, et surtout ça nous éviterait de nous faire secouer. Dieu sait par quel miracle, le plan fonctionna.

Après une heure, il ne nous restait plus que quelques conserves et de l’eau, mais les gens continuaient d’arriver. Je me haïssais sur le coup, je trouvais ma démarche vaine : ‘’il n’y aura jamais assez’’, je me disais.  Des femmes nous suppliaient pour avoir des bouteilles d’eau, leurs enfants sous le bras, elles nous tendaient des billets. Tout le sang de mon corps remontait à ma gorge, j’étouffais, mes larmes – si longtemps contenues – coulaient. Je voyais des enfants avaler des bouteilles d’un litre et demi d’une traite. Je crois que ça marque à jamais un humain de vivre ça… Nous avons partagé les packs d’eau de la manière la plus équitable possible et une fois le camion vidé nous sommes rentrés au bateau. Pendant les deux heures de trajet retour, aucune de nous ne parlait. A 21h, nous retrouvions le reste du staff et tout le monde nous demandait – très enthousiastes – comment s’était passée la journée. Nos voix aigües et tremblantes répondirent ‘’good’’. On ne peut pas expliquer une journée pareille… Je crois que Ben fut le seul à remarquer mon visage barbouillé de larmes et de poussière. Il m’invita à jouer aux cartes, et fit héroïquement semblant de perdre.

Il y eut un troisième jour de distribution. Il y eut d’autres maisons, d’autres rencontres, d’autres galères aussi.

C’est de loin l’article qui a été le plus difficile à écrire pour moi depuis l’ouverture de ce blog, il est décousu et plutôt mal écrit, je couche les mots comme ils me viennent. Mais je suis soulagée, c’est fait. Il y a bientôt trois semaines que j’ai quitté la Dominique et les événements sont encore embrouillés dans ma tête, j’ai du mal à les remettre dans l’ordre. Je me réveille encore en sursaut la nuit, je revois en boucle les gens, les arbres, la poussière étouffante. Je crois que j’aurai toujours une trace d’ouragan dans les yeux. Des fois je me mets à pleurer sans raison. Et des fois je souris toute seule, soulagée, heureuse et impressionnée devant la beauté de ce que j’ai amorcé, de ce que l’on a accompli ensemble. Je n’avais jamais fait d’humanitaire avant, et je ne sais pas ce qu’il en restera dans mon esprit dans quelques mois, dans quelques années, mais je suis presque sûre que je n’oublierai jamais rien de ce mois d’octobre 2017. A l’échelle mondiale, c’est pas grand-chose, mais pour une poignée d’humains qui décide de se bouger, c’est irréellement grand. On a embelli le quotidien direct de dizaines de personnes. Merci à tous pour votre soutien, vos dons, votre temps. Merci de m’avoir suivie sur ce coup-là aussi.

Articles de presse :

L’aventurière fauchée collecte des dons pour la Dominique

Je me rappelle de mon premier départ. J’avais dix-neuf ans et je partais pour six mois à Montréal, avec mon ‘’chum’’ de l’époque. Je m’envolais avec une valise énorme de vingt kilos d’indispensables. À l’époque, ça me paraissait tout à fait normal, j’étais loin d’être une backpackeuse. Je n’avais aucune velléité d’aventurière, je partais juste vivre quelques mois au-delà des frontières de l’Europe. Donc voilà, j’ai tout pris. Au moment de rentrer, je tirais trente-deux kilos sur des roulettes. En somme, le poids que je pesais à douze ans. Je me suis démonté les bras, ai dû acheter un autre sac, l’ajouter en soute. Je hurlais sur les employés pour une raison qui m’échappe aujourd’hui. Stressant, inutile, pas pratique, honteux.

En 2015, je voulais voyager en sac à dos. Pour la première fois je partais seule, en auto-stop, sans argent et avec un sac que j’allais porter sur moi la plupart du temps. Je me rappelle qu’à cette époque, le matériel était ce qui m’obsédait le plus. Le plus performant, le moins lourd, celui qui couvrirait le plus de ‘’au cas où’’, et souvent le plus cher en gage de qualité. Au final, j’ai juste dépensé des fortunes inutilement.

Depuis deux ans, mon sac à dos a beaucoup évolué et est de plus en plus minimaliste. J’arrive à un poids total de 7 kilos dans un sac de 25 litres, pour un voyage au long cours, avec un ordinateur et de quoi dormir dehors.

Avant mon premier départ, je lisais beaucoup les blogs de voyages pour compléter mon matériel. Il me paraît donc naturel de vous donner la liste du mien aujourd’hui. Mais avant ça, j’aimerais vous passer un petit message qu’il n’est pas coutumier d’entendre sur les autres sites : détendez-vous ! Ça va aller, si vous faites faux, si vous ne pensez pas directement à tout, il y aura moyen de se réajuster en route. Vous n’allez pour la plupart pas vous retrouver directement seul au milieu de l’Himalaya avec le contenu de votre sac à dos comme seul moyen de survivre. Ça va aller… Je vous jure ! Les gens vivent là où vous allez voyager et généralement, vous y trouverez du matériel bien moins cher et tout aussi bien.

Notez bien que mon sac à dos est actuellement utilisé pour voyager dans des pays plutôt chauds, au grand minimum 20 degrés la journée. Il est optimal pour se déplacer rapidement et être porté par une fille de mon micro-gabarit durant des heures. Et c’est mon sac. Même si certaines astuces pourront vous servir, il est adapté à mes besoins et envies uniquement.

Je tiens aussi à préciser que c’est le matériel que j’utilise vraiment et que j’ai acheté sans aucun sponsor. Je ne suis affiliée à aucune marque, je vous mets les liens de différents articles en ligne pour vous faciliter la vie, mais je vous encourage à vous les procurer de seconde main ou dans des magasins spécialisés.

Mon matériel de voyage :

 

Mes sacs :

Mon fidèle compagnon, le Synapse 25 de chez Tom Bihn.

Il coûte d’origine 200 USD, mais avec les frais de port et de douanes, il m’a coûté environ 250 euros. Ça a été un petit investissement, mais je ne le regrette pas une seconde. C’était il y a bientôt trois ans et il n’a pas pris une ride. Je suis convaincue que c’est le meilleur sac pour voyager.

Je ne comprendrai jamais comment il est possible de faire entrer autant de choses dans ce sac… Son grand avantage est d’être conçu avec des poches qui ne se chevauchent pas, donc même si je le remplis au max, il n’a pas l’air spécialement volumineux. L’aspect final rend vraiment bien, je passe plutôt inaperçue avec, ce qui n’est pas le cas de tous les sacs de voyage. J’ai décousu l’étiquette avec la marque, il est un peu tâché et loin d’attirer la convoitise.

Ce sac est parfaitement solide, après plus d’un an et demi d’utilisation non-stop (sur trois voyages), je n’ai toujours pas de soucis avec les fermetures, le tissu ou les sangles. Pourtant je ne suis pas douce, croyez-moi. Il est confortable, avec une ceinture autour de la taille et un renforcement dans le dos. Le poids du sac à vide est de 770 grammes, ce qui fait gagner sur le poids total.

Il y a plusieurs couleurs dispos, j’ai préféré un gris discret. C’est bien d’être discret. Je n’ai pas ajouté d’accessoires au sac, mais il y a plusieurs customisations possibles, par exemple on peut le commander avec une lumière ou une pochette pour ordinateur adaptée au sac.

Le seul inconvénient que je lui trouve, qui est un détail mais peu pratique au quotidien, est le manque de poches latérales pour ma gourde. J’ai créé un système avec une accroche sur la poignée du sac, mais je pense que je vais coudre une poche prochainement.

Il existe aussi en plus grand dans d’autres designs, mais du coup il coûte aussi plus cher. 25 litres ça fait juste, mais ça me force à ne pas m’encombrer. Encore une fois, ce sac est surprenant, j’oublie souvent qu’il ne contient que 25 litres et je me sens comme Mimie Mathy qui sort des objets improbables de son petit sac. La preuve en images !

 

SAC ADDITIONNEL PLIABLE NEWFEEL POCKET

Je m’en sers comme sac d’appoint, si d’un coup j’ai plus de matériel à transporter, par exemple quand je récolte de la nourriture ou que l’on me donne des livres. Sinon il est plié dans mon sac. Il pèse 55g, peut contenir 17L et m’a coûté 2.99 Euros chez Décathlon. Ils sont relativement solides, ils me tiennent environ 1 an d’utilisation quotidienne avant de se trouer, ce qui pour le prix est vraiment pas mal.

SACOCHE PHOTO

Sacoche Lowepro Nova Micro, toute simple que l’on m’a donnée. Ma caméra y entre juste, elle est plus pratique que mon vrai sac à caméra, même si elle n’est pas étanche. Elle est un peu moche et date du siècle dernier, du coup elle ne fait pas vraiment rêver les voleurs.[/vc_column_text][vc_column_text] (suite…)

le jour où j’ai été chez les nomades

 

Mars 2016, Mongolie.

Mon épopée sibérienne vient de prendre fin et mon voyage se poursuit en Mongolie dans l’espoir de réaliser un rêve : passer quelques jours chez une famille de nomades. Je suis à Oulan-Bator et les températures frôlent les -25 degrés, l’air est chargé de pollution, la ville grise, morose. Depuis mon arrivée, je suis hébergée par Viviane, une expatriée que j’ai contactée via Couchsurfing. Elle aussi voyage, longuement, lentement, une année par pays pour exercer son métier de professeur de français. Son contact me fait du bien et sa présence m’apaise. Il faut dire que mon voyage en Russie m’a un peu déstabilisée. Viviane, c’est un cadeau de la vie. Tout chez elle appelle à la douceur et à l’intelligence. Elle a su me guider et m’apprendre à aimer cette ville un brin rustre.

Dans l’idée, j’aurais voulu partir à l’aventure en auto-stop ou en bus, et sortir des sentiers battus par mes propres moyens. Mais il faut que je me rende à l’évidence : je n’ai ni les connaissances, ni l’équipement, ni même l’expérience nécessaires pour partir seule dans la steppe. Ces températures ne me laissent aucune marge d’erreur et le risque me paraît énorme. Durant plusieurs jours, je fouille donc internet à la recherche d’un plan pour partir dans la steppe. Je ne sais pas comment m’y prendre : je consulte Google, les forums de voyageurs, le site de l’office du tourisme. Sans grand succès.

Un jour où j’étais au supermarché, j’ai rencontré un Norvégien au rayon poissonnerie. Je doutais de la qualité des poissons surgelés et lui ai demandé son avis, il me paraissait d’une couleur étrange (le maquereau, pas le Norvégien). Après cinq minutes à parlementer sur la gastronomie mongole, il m’a demandé ce qui m’amenait à Oulan-Bator. Je lui ai raconté mes voyages, mon amour pour son pays, mes difficultés actuelles. Lui s’est enflammé en me racontant la famille de nomade dans laquelle il avait vécu plusieurs semaines. Il m’a donné le contact d’un monsieur, qui me donna celui d’un autre, et j’ai fini par rencontrer Mejet.

Lui et sa femme Bilge ont créé une petite agence touristique où ils proposent leur aide aux voyageurs. Je leur ai parlé de mon projet et ils m’ont proposé de partir chez un cousin de Mejet, qui habitait à quelques heures de là. Il avait besoin de quelqu’un pour lui apporter deux grandes caisses de lait en poudre pour les animaux. En échange de ce service, il faisait en sorte d’organiser ma venue dans sa famille. La veille de mon départ, Mejet m’a accueillie chez lui pour me briefer. Il ne parlait pas français, et mon anglais était encore approximatif à l’époque, mais j’ai compris les points principaux : les règles à respecter dans la yourte, les toilettes à cent mètres et la douche inexistante, les risques inhérents à la neige, les tiques, la longue route pour rejoindre leur lieu de vie. Pas de nom de ville, de plan ou de photo de la famille. Je n’avais que très peu d’information sur ce qui m’attendait.

Le matin du départ, Bilge m’a conduite à la station de bus Dragon Fly, à l’autre bout d’Oulan-Bator. Elle m’a aidé à acheter mes billets, à trimballer les caisses de lait, à monter dans le bon bus. Son soutien m’a été essentiel, car ici plus personne ne parle anglais. J’ai grimpé dans le véhicule bondé et me suis installé derrière, reflexe de mon adolescence où, allez savoir pourquoi, pour être cool il fallait s’assoir à l’arrière. Je profite de cet article pour vous confier que c’est de l’arnaque : les routes escarpées malmènent l’arrière du bus et j’avais tout sauf l’air cool.

J’étais la seule occidentale du voyage et ma pâleur surprenait. Les Mongols comme moi-même, pour tout vous dire. Je n’avais pas vu le soleil depuis près de six mois et je sortais de complications médicales qui m’avaient beaucoup affaiblie. Une petite fille s’est assise à côté de moi, sur les genoux de sa mère. Elle me touchait le visage, amusée, étonnée, elle jouait avec mes cheveux. Moi, je n’avais toujours pas d’idée d’où ce bus allait me conduire. J’essayais de me rassurer en me disant que Mejet avait l’air sérieux, que tout allait bien se passer. Mais la vérité, c’est que je n’en savais rien.

En une heure, nous avions quitté la ville et je découvrais déjà la steppe, l’immensité, les couleurs. Sur le bas-côté, des cavaliers et des femmes en costumes traditionnels. Mes paupières s’écarquillaient et je me disais : mon dieu, je suis en Mongolie. Après deux heures et demi, le car s’arrête au milieu de la route. Des gens se lèvent, je stresse un peu. J’en déduis rationnellement une pause pipi et je sors en même temps que la moitié du bus. Il était temps ! Sauf qu’il n’y avait pas de toilettes. Ni de mur. Ni de cabane en bois. Ni même un trou. Juste la steppe. Plate, infinie, sans monts, sans vallons. À dix mètres de moi, une carcasse de cheval mort. Quel drôle d’endroit pour s’arrêter. Les hommes urinent debout, les femmes s’accroupissent au bord de la route, leur longue robe les protégeant des regards. Ma veste North Face n’a définitivement pas été conçue pour les toilettes mongoles. Pas le choix. Je m’accroupis, expose mes fesses plus blanches que celles d’un laitier lapon, et fais mon affaire. J’entends des rires un peu idiots derrière moi, mais j’essaye de rester impassible. J’en ai vu d’autres. Pas eux, apparemment : lorsque je me retourne, je fais face à des smartphones immortalisant ce moment singulier de ma vie. On se croirait dans un film de merde (l’élégance du jeu de mots, c’est cadeau) ! Je me console en me disant que l’assassinat de ma pudeur a été filmé, ce qui facilitera sans doute l’enquête.

Dans le bus, je somnole jusqu’au prochain arrêt, deux heures plus tard. Je suis empruntée, mais je me convaincs que la scène suivante du film n’est pas au programme. Le chauffeur me fait de grands gestes, j’embarque mon sac et sors à la hâte. J’essaye de savoir si nous sommes arrivés, personne ne me comprend. Un homme me montre une petite cabane, alors je m’en approche. Pause déjeuner. Je m’assois sur un banc et, très vite, la salle se remplit. Une dame m’apporte une carte écrite en Mongol où trois menus sont proposés. Je commande le mien au hasard, en jouant à « plouf plouf ce sera toi… » avec le doigt. Elle me fait un signe avec sa bouche, je crois qu’elle mime un bol, je réponds donc oui. Je réponds toujours oui quand je ne sais pas. Elle m’emmène un verre en terre glaise, avec un liquide blanchâtre à l’intérieur. Je le bois et manque de tout recracher. Je crois que c’est du lait. Enfin, que ça a déjà été du lait. Dans un autre vie ? Pitié, faites que ce soit du lait ! Cinq minutes après, la serveuse revient avec un plat, une salade de carotte et des raviolis. C’est excellent. Longue vie au plouf plouf ! Durant le repas, ma table est la seule à rester désespérément vide. Les regards que l’on me lance m’intimident, me font hésiter entre la peur et la tristesse. J’ai l’impression d’être ce gamin que personne ne prend jamais dans son équipe à la gym, mais à l’heure de la cantine. Je me dépêche de finir mon repas et remonte dans le bus, je crois que je pleure un peu.

Je n’ai aucune idée de la durée totale du trajet. Pour faire simple, je l’estimerais à une semaine en vie de chat. Le bus s’arrête au terminal d’une ville, dont j’ignore encore aujourd’hui le nom car les panneaux sont écrits en Mongol. Nous sortons du véhicule, et là, une dizaine d’hommes à la gesticulation animée se précipitent autour de nous. Autour de moi, plus précisément. Ils essayent de me vendre des nuits dans leurs ghesthouse, des tours à cheval, des objets en tous genre. J’imagine qu’ils ne lisent pas mon blog. Je garde donc mon sang froid, moi qui suis de la race des pigeons. J’ai du mal à comprendre qu’il y ait autant de gens dans ce lieu désert qui ressemble plus à une cahute abandonnée qu’à une station de bus. Je réponds que je sais où je vais dormir, que je n’ai besoin de rien. Ils me demandent si je suis la seule blanche du bus, en touchant ma peau pour insister sur sa couleur. Je me mets à bouillonner. Je ne supporte pas qu’un inconnu se tienne si près de moi, encore moins qu’il me touche. En Europe, je lui aurais mis une droite, j’aurais hurlé, j’aurais déclenché un scandale. Un peu comme quand j’avais deux ans et que mes parents ont eu le malheur de m’assoir de force sur les genoux du Père Noël.

Mon malaise doit être palpable, car une autre passagère s’approche de moi et me parle très doucement. Je ne comprends pas ses mots, mais elle dégage beaucoup de tendresse, je crois qu’elle essaye de me rassurer. Ça marche plutôt bien. Elle m’accompagne à l’arrière du bus et m’aide à sortir les caisses. Une fois que j’ai tout, je me pose dans un coin et me prépare à une longue attente. Et là, je me rends compte de l’absurdité de la situation, d’autant que l’idée de m’avait pas effleurée avant : je n’ai aucune idée de qui va venir me chercher ! Aucune, mais aucune. Je n’ai pas de nom, pas d’heure, pas de confirmation, je n’ai rien. Est-ce qu’on sait au moins que j’arrive ? J’ai soudainement la sensation que mon monde s’écroule.

Pour la première fois depuis longtemps, j’ai peur. Profondément. Je me sens curieusement en danger, persuadée que je vais pourrir sur place durant des semaines. C’est certain, mon cadavre gira dans la steppe et les autobus s’arrêteront à côté de moi pour la pause pipi. Je me maudits d’organiser mes voyages avec l’approximation d’une miss météo. C’est vrai que le fignolage n’a jamais été mon fort, mais quand même ! Comment ai-je pu oublier ce détail ! Mon dieu, mais quelle voyageuse en carton ! Je suis Bob l’éponge à qui l’on aurait flanqué un sac sur le dos. J’attends un instant et je panique complètement, tellement que je me retrouve incapable de bouger. Un bug.

Une fois encore, j’attendais que le hasard me sauve les fesses. Une fois encore, j’ai beaucoup de chance. J’entends ‘’Sarah, Sarah’’, et je vois un homme venir dans ma direction, le pas pressé. Il me parle en Mongol, mais je suis toujours sous le choc, incapable de lui dire que je ne le comprends pas. Il attrape mon sac, me tire jusqu’à son 4X4. Il est habillé en orange et n’a pas de cheveux. C’est un moine. Un lama, pour être exacte. Comme le Dalaï-Lama, mais en moins gradé. Il agite sa montre sous mon nez, je crois qu’il s’excuse pour le retard. Je n’ai aucune idée du temps qui a passé entre l’arrivée du bus et cette rencontre, c’est sans doute long de s’imaginer pourrir dans la steppe. Peu à peu, je me rassérène. D’abord parce que je ne suis plus égarée dans la station du diable. Ensuite, par ce que mon sauveur est un moine. Un moine ! Enfin, parce que j’ai un petit pensionnaire sur les genoux. Ulemch, une petite tête ronde qui s’est endormie dans mes bras.

Nous roulons encore une heure et j’aperçois deux yourtes de loin, je vois des têtes, des mains qui font coucou. Le père de famille filme mon arrivée avec un smartphone. Qui aurait cru que je retrouverais un smartphone au milieu de nulle part. Au moins, ça me fera des histoires à raconter. D’ailleurs, je suis en train de vous la raconter. Et tenez-vous bien, ils ont aussi une télévision qui beugle des drama coréens sous-titrés en russe. Les soirées télé sont à mourir de rire. Je ne pige rien, mais eux rigolent beaucoup. Souvent de moi, j’imagine. Quoi qu’il en soit, je ressens tout de suite beaucoup d’affection pour ce qu’il y a d’enfantin et de brut chez ces gens. Comme une sorte de sagesse très terre-à-terre. Je me lie très vite à eux, la difficulté à les rejoindre me les rendant d’autant plus chers.

Nous sommes à la fin du mois de mars et, déjà, la neige a fondu. C’est la période des naissances : une centaine de biquettes ont mis bas environ deux fois plus de bébé. Le bruit et l’odeur m’importent peu : ILS-SONT-TELLEMENT-CHOUX !!! Je fais le tour du propriétaire, les deux grandes yourtes logent deux familles, mais j’ai du mal à identifier qui est qui. Exercice périlleux quand on doit se passer de mots. C’est un peu un Cluedo grandeur nature, mais sans chandelier ni Professeur Violet. Ou le jeu des sept familles, sauf que toutes les cartes se ressemblent. Je me sens presque raciste rien que d’avoir osé le penser, mais je vous promets que je fais de mon mieux ! Et puis, je suis l’une d’entre eux de toute façon : la femme de la maison m’a aidée à enfiler une Del, le vêtement traditionnel, pour me protéger des morsures du froid. Et des smartphones durant la pause pipi.

Je me sens donc comme un poisson dans l’eau – enfin, dans le désert, mais l’expression fonctionne moins bien – dans la yourte de gauche, où je vis avec le cousin de Mejet, sa femme et Ulemch. Quand le soleil se couche, nous prenons notre premier repas tous les quatre : du riz bouilli et de la viande. Chaque jour, le plat se compose de trois aliments : viande, riz et farine, cuisinés de manières plus ou moins séduisantes. Il n’y a aucune épice, pas même de sel, ni de produit frais. J’ai apporté trois kilos de fruits avec moi : ils ont été mangés en une demi-seconde. Je vous jure que j’ai chronométré. Une fois, j’ai trouvé un oignon, j’ai croqué dedans à pleines dents, sans hésitation, les larmes aux yeux, sous le regard stupéfait de mes hôtes. C’était tellement bon que j’ai failli en pleurer. Ou peut-être que c’était juste à cause de l’oignon. En tout cas, je continue d’être émue à chaque fois que je vois un oignon cru.

Il y aurait tellement à dire sur la semaine que j’ai passée au sein de cette famille. Les barrières de la langue ont parfois été difficiles à gérer, mais en les observant et en reproduisant leurs gestes, j’apportais ma contribution. Je me levais à cinq heure avec eux, ramassais les bouses de vache pour les faire sécher, je les aidais ensuite avec les animaux. Il fallait chanter des « popopopopopopooooo » pour que les vaches acceptent d’allaiter leurs bébés. Je le faisais sur un faux rythme hip-hop, mes hôtes mourraient de rire à chacune de mes improvisations. J’étais impressionnée, car même pliés en deux, ils menaient toujours leur élevage avec beaucoup d’adresse et dans le respect des traditions.

L’après-midi, je partais seule à cheval. Durant des heures, je vagabondais dans la steppe. Je savourais, je rêvais. Souvent, je n’allais nulle part. Je n’avais aucune chance de me tromper de route, encore moins d’en trouver une.  C’est la première fois que je grimpais seule sur cet animal, qui, d’aussi loin que je rappelle, m’a toujours fait un peu peur. En fait, je n’ai jamais aimé les chevaux. Souvent, les gens qui les aiment m’ennuient. Genre les blondes. Ou Guillaume Canet.

Je crois que les paysages mongols m’ont marquée à tout jamais. La steppe et sa mélancolie, ses dégradés infinis de pastel, ses paysages inquiétants. Le soir, j’avais le sentiment mièvre que le soleil se couchait juste pour moi. On aurait dit que les couleurs du ciel venaient d’une autre planète. J’avoue que je n’ai jamais vu de coucher de soleil sur une autre planète, mais comme vous non plus, je peux vous le raconter sans sourciller. De toute façon, je suis sûre que ça y ressemble. C’était exceptionnel, une sublime apocalypse, devant laquelle je me retenais immanquablement de pleurer. La nuit montait très vite, et me contenter de dire que « je voyais les étoiles » serait un euphémisme. En Mongolie, on ne voit pas les étoiles, on vit dedans. La galaxie complète s’ouvre devant nous. L’infini. L’absolu. L’immensité. C’est le mot qui définit le mieux la vie des steppes : l’immensité.

Nos nuits étaient chauffées à la bouse de vache séchée. Plutôt efficace, mais le feu s’éteignait vers deux heures du matin. Je dormais souvent avec Ulemch pour avoir plus chaud. Enfin, il faudrait plutôt dire qu’Ulemch se callait dans mon lit, se blottissait dans mes bras et n’en bougeait plus durant six heures. On passait la nuit recroquevillés en position fœtale, sous un duvet qui ne nous protégeait pas vraiment du froid. Je crois qu’il m’aimait bien. Durant la journée, il volait mes affaires et partait les enterrer dans la steppe – il a d’ailleurs cassé l’une de mes caméras et a rempli mes chaussures de crottin de cheval. Croyez-le ou non, mais je pense encore à lui et il me manque bien plus que ma caméra.  J’ai profondément aimé ces gens, toute étonnée de constater qu’il n’y a pas besoin de connaître la même langue pour ça.

Souvent, on me demande si je n’ai pas des coups de blues à force d’être éloignée de mon pays et de mes proches. Bien sûr, ils me manquent beaucoup, mais ma plus grande désolation ne vient pas de là. J’ai surtout de la peine lorsque je me dis que chacune de mes aventures est unique et ne pourra jamais plus se répéter. Évidemment, je pourrais y retourner. Ce n’est pas loin : cinq jours de train, quelques heures de bus et une de 4×4. Mais plus jamais je ne poserai mon premier regard sur ce pays. Plus jamais Ulemch n’aura trois ans. Je suis souvent attristée de me sentir comme éparpillée aux quatre coins du monde. J’ai passé les vingt premières années de ma vie en ne me sentant à ma place nulle part, aujourd’hui je l’ai trouvée à plusieurs endroits. J’ai la vie d’une voyageuse. Durant mes longues nuits de mélancolie, je me demande parfois quel est le pire.[/vc_column_text][vc_video link= »https://www.youtube.com/watch?v=G_O4SStGZ_U » el_width= »70″ align= »center » title= »la Vidéo du séjour »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text][ale_alert style= »grey »]  Si l’expérience vous intéresse, je vais vous faire gagner du temps. Voici le contact de Mejet mejet69@yahoo.com (oui, c’est bien le nom de sa boîte mail professionnelle) et les quelques règles que j’ai observées durant mon séjour : si la porte est fermée, ne frappez pas avant d’entrer, ne marchez JAMAIS sur le palier de la porte, ne tendez jamais vos pieds en direction de quelqu’un, du feu, ou de l’autel. Restez en tailleur. Le tailleur c’est bien. Ne jetez jamais de déchet dans le feu. Et ne refusez jamais ce que l’on vous tend. Si c’est de l’alcool et que vous n’en buvez pas, trempez vos lèvres et attendez un peu, puis passez à votre voisin (miam les boutons de fièvre !) Pensez aussi à ramener un cadeau pratique à vos hôtes genre briquet, bougies, aiguilles et fil à coudre, vêtements que vous ne mettez plus, stylos… Les fruits et légumes peuvent être une idée. Gardez à l’esprit l’histoire du ‘’riz, farine, viande’’. Ramenez de quoi rassurer votre addiction pour le sucre, le café, le chocolat. – Et oui, aussi, bonne chance.

Le jour où j’ai commencé à aimer l’auto-stop

 

Mai 2015 – Sur la route entre Oslo et Bergen

Cela fait un peu plus d’un mois que je suis sur la route. Je viens de traverser la Suisse, l’Allemagne, le Danemark et le sud de la Suède en stop. Je fais de l’auto-stop tous les jours, et des petites habitudes se sont créées. À chaque fois, je vis le même rituel : je fais une recherche sur Hitchwiki, ce site web envoyé des dieux, qui recense les meilleurs spots pour trouver une voiture. Et je me mets en marche pour rejoindre cet endroit. Il faut sortir de la ville. Jusqu’à cinq kilomètres, j’y vais à pied. Si c’est plus loin, je fraude le bus. Sur la route, je cherche de quoi confectionner un panneau, je saute dans les conteneurs à poubelle pour ramasser un carton, j’en demande dans les stations-service, dans les commerces. J’inspecte mon tout petit atlas du monde et je repère un nom de ville, de village, à inscrire sur le panneau. Parfois je tente une petite blague qui ne fera rire que moi, évidemment ! Le temps qu’ils voient le panneau, qu’ils le lisent, qu’ils percutent, je manquerai leur réaction. Et si ça se trouve, ce n’est même pas drôle. Mon marqueur ne marche plus. Je n’ai pas d’argent pour en acheter un nouveau, il faut qu’il marche. J’essaye de négocier : – ‘’pitié marche’’ – ‘’non’’. Je me débats avec un stylo bic, on ne voit rien, je perds patience. Quelqu’un m’a offert un stylo ! C’est le plus beau cadeau du monde. Je pars en quête du lieu précis indiqué par Hitchwiki. Mon dieu, ce site est toujours en anglais, ça veut dire quoi ‘’above’’ ? Ou ‘’behind’’ ? Pourquoi j’ai choisi allemand à l’école ? Qui prend allemand ?! N’importe quoi, ils n’ont même pas gagné la guerre ! (Vous comprenez maintenant que mes blagues ne font pas rire).

Je m’encouble dans mes pensées, retombe sur terre. J’escalade des palissades, je marche le long de routes étroites, dans les ravins, je grimpe, je glisse, je me tords la cheville. Une vraie athlète. Je commence à bien connaître les stations-service, les entrées d’autoroute, les zones industrielles d’Europe. Parfois, j’élis domicile dans ces périphéries. J’arrive enfin au lieu promis, je pose mon sac et lève le pouce. J’affiche mon sourire le plus éclatant (oubliant la galère qui vient de précéder) et j’attends, un peu sceptique. La voix dans ma tête me dit que ça ne marchera jamais. Mais la voix dans ma tête est une connasse, je suis presque sûre qu’elle n’a jamais fait de stop, elle. Parfois quand j’attends longtemps, je vérifie que mon pouce soit bien tendu. Enfin que ce soit le bon pouce. Non mais non, c’est bien le seul moment de la démarche où il n’y a pas moyen de faire faux. Je laisse mes pensées divaguer, de temps en temps, je joue. J’essaye de deviner la couleur de la prochaine voiture, je frappe celui à côté de moi quand elle est jaune. C’est mon bras gauche qui prend. Je ne vais quand même pas frapper Mimou ?! C’est l’inconvénient de voyager seule. Une voiture de police passe. Je baisse mon panneau et leur tourne le dos, je me fais minuscule. ‘Dieu que je ne les aime pas. Un coup sur trois, ils s’arrêtent, ils prennent mon identité sans aucun motif, me disent que c’est trop dangereux et s’en vont, satisfaits.

Des fois, je suis enchantée, presque ivre. D’autres fois, je me plains. Des fois, il pleut. Des fois, en attendant, je regarde ma montre. Je n’ai même pas de montre. Je n’ai jamais eu de montre, d’où me vient ce réflexe ?! Mon esprit repart… Eh Oh ! Reviens sur terre, je te rappelle que tu es en train de faire du stop, nom de nom, un peu de sérieux ! Je regarde les voitures passer, essaye de créer un contact visuel avec les chauffeurs. Je commence à connaitre la signification des signes qu’ils me font. Par exemple, s’ils font tourner leur doigt, ça veut dire qu’ils restent dans la région, s’ils mettent la main à plat, ça veut dire que la voiture est pleine, s’ils font non, ça veut dire non. J’ai tellement peu d’arguments pour convaincre. J’essaye de me tenir droite, de faire propre, d’avoir bonne mine. Tout est dans la posture, paraît-il.

Ce jour-là, après quarante-cinq minutes sous la pluie, une voiture s’arrête. Elle se range sur le côté et, comme à chaque fois, mon cœur accélère. Un homme, la cinquantaine, m’ouvre la porte. Il est seul dans un grand 4X4, il me demande où je vais, je réponds Bergen. – ‘’Monte’’. Bingo ! Je me jette littéralement dans la voiture, je pose mon sac entre mes jambes. Je garde toujours mon sac entre mes jambes. Je me présente, je papote, je lui dis qu’il pleut. On va passer les cinq prochaines heures ensemble, autant lui être sympathique. Il me répond à peine, froidement. Cinq heures, c’est déjà long. Mais cinq heures sans parler, c’est cinq heures en vie de chat. Il me regarde du coin de l’œil. À ce moment-là, l’euphorie d’avoir pris place se transforme en effroi. L’ambiance m’oppresse de plus en plus. Je ne sais pas combien de temps est passé. Dix minutes ? Peut-être plus ? J’aurais passé un meilleur moment chez le dentiste. Je suis attentive aux panneaux, je le surveille de près. Il n’a pas l’air méchant, il a même une tête de gentil, mais il semble tellement… Éteint ?! Je m’enfonce dans mon siège, mange mes ongles comme des chips et j’attends un signe. N’importe lequel. Un signe qui me permettrait de désamorcer la situation, ou qui me mènerait à ma perte. Une heure s’écoule et rien ne se passe. Son silence me fait peur, alors je parle. Je parle bêtement et je dis n’importe quoi. Je raconte mes chats, ma mère, le facteur de chez-moi qui ne monte jamais pour m’emmener mes colis. Je mixe l’anglais et le français. Je remplis l’espace.

Subitement, il arrête la voiture au bord de la route. Je comprends qu’il va se passer quelque chose. Je retiens mon souffle, comme si ma vie s’y suspendait. Il va me découper en rondelles, me donner à manger à ses serpents, me rouler dessus, me séquestrer. Mon dieu, je vais mourir. Alors c’était ça ?! Juste ça, ma vie ? J’aurais dû rester chez moi, tout le monde me l’avait dit. Norvège, un jour pluvieux de 2015, vingt ans. C’est jeune vingt ans pour mourir. Ça fait chier quand même, mon père va me tuer… Il pousse un long soupir en me regardant. La situation prend vraiment une tournure étrange. Je déglutis. Et là, à mon grand étonnement, il fond en larmes. Je suis toujours en apnée quand il attrape son sac à l’arrière, moi, un sursaut me pousse vers l’avant et j’ouvre la portière de la voiture. Je vais courir, il y a une forêt, je sais grimper, sauter, je sais faire plein de trucs. Il me regarde, surpris. Il comprend ce que j’ai compris, et éclate de rire, tout en pleurant. C’est plus de l’ascenseur émotionnel à ce niveau-là, c’est de la fusée. Je ris nerveusement : quel drôle de tableau. Il sort un portemonnaie de son sac, et me montre une photo. Je la regarde, figée d’une drôle d’angoisse. On dirait moi. En plus jolie, un poil plus vieille, en mieux coiffée. Il me dit que c’est sa fille, qu’elle s’appelle Anna, qu’il ne la voit plus. Je m’écroule dans mon siège et lâche un ‘’Nom de dieu’’, en français. Je reprends mes esprits, mon souffle, une couleur normale.

On ne peut pas imaginer ce que ça fait de voir un homme de cet âge pleurer comme une fillette. On ne peut pas le concevoir avant de le vivre. Je ne pourrais jamais vous décrire cette expression, accusée d’abattement, que je l’ai lue sur visage, cette mort, cette fin de course. Personne ne pourra raconter mon trou dans le cœur, ma poitrine qui se serre, mon monde qui s’arrête, au moment où cela se produit. Mes mots sont impuissants à le décrire.

Pendant une heure, il me raconta son ex-femme, sa fille qu’elle lui a enlevée, la secte qu’elles ont rejoint. Il me raconte l’abandon, la colère, l’impuissance. Dix ans sans voir son enfant. Je pense à mon père. Il a l’âge à mon père, j’ai l’âge de sa fille. Moi non plus, je n’ai pas assez vu mon père pendant des années. Je ressens ce qu’il ressent, l’empathie se transforme en fusion. On pleure en concert l’amour qui crée les enfants, mais qui n’est pas assez fort pour créer les familles. Je crois qu’on ne peut comprendre le manque que lorsque on l’a déjà éprouvé soi-même. Il disait ‘’il y a des êtres irremplaçables’’. Je trouvais des mots pour l’aider à surmonter le désastre, soulagée d’apprendre que mon anglais émerge en cas d’urgence. À quel moment, un homme se rend compte qu’il ne sera jamais un héros ? Je lui offre un mouchoir en tissu. Mon seul. L’ironie veut que ce soit celui de mon père.

Je n’oublierai jamais la reconnaissance avec laquelle cet inconnu, cet homme abîmé, me racontait son histoire. Pendant une heure, je ne détournais pas, même le temps d’un clignement d’œil, mon regard. Sa confiance était la plus belle des marques d’estime. En retour je lui offrais la plus complète attention. Au fil de son récit, ses yeux retrouvaient de leur présence, reprenaient vie. C’était pour moi une joie intense de voir son visage s’apaiser. Comment une chose pareille peut-elle être possible ? Est-ce qu’il avait juste besoin de parler ? Peut-être qu’il pardonnait sa fille à travers moi… Mais ça n’avait rien de tordu, c’était absolument juste. Quand il a cessé de parler, son visage s’est animé, il rayonnait de joie. Je n’oublierai jamais cette minute de ma vie.

Après cette longue effusion, nous reprenions la route. Il était treize heures et nous n’avions parcouru qu’une centaine de kilomètres. Il est sorti de la route principale et a pris le chemin pour rejoindre les montagnes. Ça allongeait d’une heure ou deux le trajet, mais ça valait la peine. Il me disait qu’il fallait absolument que je voie ça. Et en effet, ça a été spectaculaire. En Europe, c’était presque l’été. Mais ici, il y avait encore plusieurs mètres de neige. Il s’est arrêté pour me montrer des cascades, des falaises, des rivières. On a bu un chocolat chaud au restaurant d’alpage. Qu’est-ce que j’aime les chocolats chauds. Qu’est-ce que j’aime les restaurants d’alpage. On a monté la musique à fond, il était un grand fan de Brandi Carlile, on dansait assis sur ses rythmes pas vraiment endiablés. On s’est arrêtés pour admirer le coucher du soleil au bord d’un lac, comme pour lui rendre hommage. Le soir, il m’a invitée à manger une pizza avec lui. Je crois qu’il rattrapait le temps perdu avec sa fille, moi celui avec mon père. Plus tard, dans mon journal de voyage, j’écrirais : ‘’je crois que c’est ça le bonheur : jouer de la fausse batterie sur une chanson de Brandi Carlile avec un parfait inconnu.’’ Je le crois toujours.

Il était en déplacement pour le travail et m’a proposé de passer la nuit dans son appartement de location. J’ai accepté. Il n’y avait qu’une chambre mais deux lits, faussement anciens, en bois sculpté. Je crois qu’il a eu peur que j’aie peur, alors avant même que je ne dise un mot, il a déporté mon lit dans le salon. Il m’a donné sa seule couverture.

Le lendemain matin, il m’a déposée au bord de la route. Je n’étais plus qu’à cinquante kilomètres de Bergen. Dans ses derniers mots, il me dit que la société est organisée par des cons, pour des cons. Il me dit qu’une vie qui n’est pas vouée à un objectif défini n’est qu’une erreur. Amen. Dans sa dernière accolade, dans son dernier sourire, j’ai ressenti tant de chaleur que j’en fus émue aux larmes. Il a remonté sa vitre et j’ai caché mon visage dans mes mains. C’est là, précisément, que je me suis dit qu’il fallait que je parte faire le tour de la terre en stop.

Depuis des semaines, je me déplaçais en auto-stop. J’avais rencontré énormément de personnes de toutes sortes, de toutes origines, de toute profession. J’en avais apprécié certaines, je leur avais parlé avec amabilité, mais je les avais toujours tenues à distance de moi. D’ailleurs, le mot est là : je me déplaçais. Je n’avais pas encore compris que l’auto-stop était la meilleure des excuses pour se rencontrer. Faire connaissance, sincèrement. Ce jour-là, les kilomètres ont pris un sens tout nouveau pour moi, et j’ai compris la vraie motivation des auto-stoppeurs chevronnés. Ce jour-là, mon pouce est devenu mon doigt préféré. (Sauf pour la police espagnole.)

On me demande souvent comment j’en suis arrivée à voyager. On me le demande tous les jours, comment et pourquoi, qu’est-ce qui m’est arrivé pour que j’en sois là aujourd’hui. Parfois avec admiration, parfois avec mépris, on m’accuse de fuir ou on projette sur moi des idées de super héros. Il m’a fallu plusieurs années pour comprendre réellement ce qui s’est passé, le cheminement que j’ai suivi. Il y a quelques jours j’ai reçu un email d’un voyageur en devenir qui m’a écrit les plus beaux mots que l’on m’ait jamais adressés : ‘’merci d’avoir osé’’. J’ai pleuré comme une madeleine et j’ai écrit ce texte. D’une traite, sans quitter mon ordinateur ne serait-ce qu’une minute, tout est venu naturellement, j’avais à peine conscience de mes doigts qui couraient sur le clavier. En le relisant, je me suis demandé si j’avais le droit de le publier. Est-ce qu’on a le droit de dire ce que l’on pense vraiment ? Avec les mots qui sortent, sans fioritures, sans retenue. Juste laisser les idées émerger malgré la dureté de certaines d’entre elles ? Est-ce qu’on a le droit d’avoir un blog de voyage qui parle d’autres choses que de comparatifs d’avions pas chers ou des meilleures Ghesthouses à Chang Mai ? Je ne sais pas vraiment, mais je m’accorde le droit.

blog voyage et liberté

Les Débuts d’une aventurière fauchée

On ne peut pas dire que j’ai un jour aimé l’école. On peut même assez facilement prétendre que j’étais une mauvaise élève. Je n’ai jamais dit un mot plus haut que l’autre, je n’ai jamais manqué de respect à mes professeurs, ni même à mes camarades, mais je n’ai jamais fait le moindre effort pour les contenter non plus. J’en faisais le moins possible, autant pour les cours que pour la sociabilisation : je passais mon temps à regarder par la fenêtre, assise au fond de la classe, à attendre que ça passe. J’ai passé dix années à m’ennuyer ferme.

J’y ai vécu différentes périodes, suivant les années et les lieux où j’ai habité. Quand j’étais petite, avant mes dix ans, je vivais à la campagne. Je me rappelle que l’école m’intéressait presque, mais que j’y étais souvent malmenée par les autres enfants. Principalement parce que je refusais de me défendre, mais aussi à cause des origines de ma mère et du statut de ma famille, du divorce de mes parents. Aujourd’hui que le divorce est presque la suite logique du mariage, ça peut être difficile à concevoir, mais il y a vingt ans c’était peu répandu et le fait d’en venir était préjudiciable. Plus que tout, j’étais la seule arabe du collège. Pour l’anecdote, qui me fait rire aujourd’hui, je venais d’un village qui s’appelle ‘’Vers chez les Blancs’’. J’avais néanmoins quelques amis et ces années se passèrent sans grand drame.

Vient l’adolescence, les premiers rendez-vous et les cœurs brisés qui vont avec, les premiers examens importants, le stress qui monte. Je crois que c’est là que ça a commencé à se compliquer pour moi socialement. Je ne comprenais plus mes camarades, leurs intérêts débiles, leurs dictats, et ils me le rendaient bien. Mes allures de geek, ma trottinette, mon intérêt pour les livres et pour l’art n’arrangeaient pas vraiment mon cas. Cette époque a néanmoins été sauvée par une rencontre miraculeuse, celle de mon premier petit ami. J’avais 14 ans et c’était la première fois que je côtoyais quelqu’un d’un peu différent. Nous partagions de nombreuses révoltes et le même désir de bonheur, de plénitude. Nous étions de la même espèce, à la différence que lui refusait catégoriquement tout compromis. C’était un OVNI comme moi, mais en plus assuré, en plus intelligent, en bien plus cool aussi. Nous nous sommes côtoyés de manière tout à fait insolite, et très vite, je liais mon destin au sien. Les années passées à ses côtés m’ont permis d’émerger, de m’affirmer à mon tour. Si j’en parle ici, c’est que je sais, qu’indirectement, il en est pour beaucoup dans la vie que je mène aujourd’hui.

Ma dernière année scolaire fut la plus controversée. Les cours donnés ne m’intéressaient pas le moins du monde. Quel intérêt à l’algèbre, au théorème de Thalès, à savoir parlementer du gouvernement en allemand. Quand, où, dans quelles circonstances de ma vie quotidienne, j’aurais à me servir d’un compas ? J’avais toujours eu un certain respect pour mes professeurs, mais d’un coup, je n’avais plus l’impression qu’ils n’apporteraient quoi que ce soit à ma vie future. J’avais même le sentiment qu’on essayait d’entrer de force dans mon esprit des idées qui n’étaient pas les miennes. Je trouvais toutes les astuces pour manquer l’école, j’y allais le moins possible. À la place, je passais mes après-midis à faire de la photographie ou à écrire, mes matinées à dormir ou regarder des séries télévisées. Pour dire, j’y ai passé tellement peu de temps qu’en une année, je ne connaissais pas plus de la moitié des prénoms des autres élèves.

Quelques mois avant la fin de l’année, un vieux monsieur en costard est venu dans ma classe. On nous avait prévenus qu’il allait venir, qu’on pourrait lui poser des questions quant à la suite, aux formations possibles, qu’on aurait enfin quelques réponses. C’était une visite importante pour moi, pour une fois j’étais arrivée en avance au collège. Je me rendais compte qu’il se tramait des trucs après l’école, que ça n’aurait pas grand-chose à voir avec tout ce que j’avais vécu jusque-là. Il y avait un grand flou, beaucoup de possibilité et d’ouverture, mais en même temps trop de restriction et pas vraiment de garantie. J’avais besoin d’aide pour en prendre la mesure, je voyais cet homme comme un appui.

Mais au lieu de ça, il nous a fait remplir un questionnaire débile censé nous orienter dans le choix de nos futures professions. Ça fait plus de huit ans aujourd’hui, mais je me rappelle ce jour comme si c’était hier. Je lui ai répondu que je n’avais pas besoin de remplir tous ces papiers, que moi je voulais être photographe ou écrivain, comédienne au théâtre ou alors faire un truc pour aider les gens. Il m’a répondu avec un certain mépris que ce n’était pas des métiers ça, et m’a commandé de remplir ce papier comme les autres. J’ai dû céder, mais j’étouffais de colère et de consternation.

Quelques semaines plus tard, nous recevions les résultats. Dix pages de calculs pour nous dire qui nous allions devoir être pour les cinquante prochaines années. Le verdict tombait d’un coup : policière ou employée de commerce. La peste ou le choléra, le choix entre la pendaison ou la noyade, entre Le Pen et Macron. Il a choisi pour moi : – ‘’ bon, j’imagine que vu tes origines, ça ne sera pas policière.’’ en dix minutes, son affaire était bouclée. J’avais une semaine pour remplir une lettre de motivation, trois mois pour trouver une place de travail. Le plus dérangeant, c’est qu’à l’époque, ce traitement me paraissait presque normal.

Je suis restée à ma place, un peu déçue et déboussolée, mais je n’ai jamais rien dit de cette histoire. Avec le recul, je m’en suis voulu, mais qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Comment répondre ? Que dire ? À l’époque, j’avais quinze ans et la répartie d’un flocon d’avoine. C’était sa chance. Aujourd’hui, je jure que les choses seraient différentes. Je hurlerais comme un porcelet, je retournerais la classe entière, je ferais pipi sur sa petite mallette et laisserait macérer son beau costard dans les toilettes. Mais pour l’heure, on m’avait toujours appris à écouter les adultes, et leurs conseils.

Dans ce monde où seule la surface compte, où l’on favorise la forme au fond, ce conseiller d’orientation (d’une pitoyable incompétence) était censé détenir la vérité. Au même titre qu’un journaliste, qu’un politicien ou un homme d’affaires, dans l’idée générale. Comment m’opposer à ses propos ? Surtout quand il les prononce avec tant d’aplomb et sur un ton qui ne me permet pas la réplique.

À l’époque je ne le savais pas encore, mais cet événement deviendra un moteur, la cruauté de cet homme, la violence de ses propos, un avertissement. Je n’avais toujours pas une grande idée de la vie qui m’attendait, mais j’avais compris que les autres non plus, pas même ‘’les grandes personnes’’. Il a, de manière extrême et définitive, décrédibilisé l’adulte à mes yeux. Ce jour-là, j’ai compris que l’âge n’est pas garant d’intelligence, pas plus que de respect ou d’audace.

‘’Ok, les adultes c’est mort’’, je me disais. Mais un trouble naissait du fait que je ne trouvais pas non plus mon salut dans les gens de mon âge. J’évoluais auprès de crétins bornés, de jeunes gens qui ne voulaient surtout pas se prendre la tête. J’ai passé ma postadolescence à errer avec eux d’un fastfood à celui d’en face, d’une soirée débile à la suivante. Chez nous on est blasés à dix-huit ans, mais on s’occupe comme on peut. On est fascinés par les abrutis de la télé-réalité, des clips, par n’importe quel écran. On fait tout pour être le plus cool possible, on répond à tout un tas de codes complexes et débiles, que d’ailleurs on ne comprend généralement pas nous même. On écoute de la musique bruyante de groupe en vogue, pas vraiment talentueux.

Des fois on sort. Est-ce qu’il faut vraiment que je décrive l’ambiance des bars ou des boîtes de nuit le samedi soir ? On se prépare durant des heures pour être la plus bonne possible, on met tous nos efforts dans une beauté factice, vulgaire. Pour ces messieurs c’est pas vraiment mieux. Ils passent leurs soirées à se défier ou se regarder en chien de faïence. Personne ne sait ce qu’il fout là, alors on se retourne la tête avec tout ce qu’on trouve, pilule, alcool, sexe, qu’importe. On trébuche et on rigole, on vomit et on ne s’excuse pas, parce que c’est presque cool de vomir. Aujourd’hui on immortaliserait même cet instant avec un smartphone. Et tout ce cirque avec l’argument que la vie est courte, et qu’il faut en profiter. Quelle connerie !

Dans l’idée générale, c’est plutôt cool d’être un rebelle, d’avoir des habits troués et de rentrer délabré de soirée. Mais lundi matin on retournera tous sans faute au travail, comme des pantins. On retrouvera notre bureau terriblement dépourvu de vie.

D’ailleurs le bureau… Son seul souvenir me fait horreur. Cet éternel confinement entre l’ordinateur, le pupitre et la machine à café. Avec toujours les mêmes dossiers, le même silence rompu par des conversations laconiques, la même horloge qui n’avance pas.

À l’usure mon conseiller d’orientation m’a eue, je l’ai trouvée cette place de travail d’employée de commerce. Je garderai éternellement un souvenir mortel de cet endroit, littéralement, j’avais l’impression d’évoluer au milieu de personnes mortes. Un joli bâtiment neuf, rempli de zombies modernes, des gens rassis et fatigués, qui viennent ici presque plus par habitude que par obligation. Quelle violence. Je me rappelle de quelques-unes de mes collèges avec lesquelles je me suis sincèrement liée, que j’aimais énormément, et qui m’ont aidée à me sortir de là. Ces anges qui m’ont fait comprendre que je n’avais rien à faire là, que je pouvais encore faire quelque chose de ma vie. Pour tous les autres, je nourrissais une haine toute aussi profonde. Ces poulets d’élevage, incapable de s’intéresser à quiconque ou à quoi que ce soit.

Aujourd’hui la haine s’est transformée en désolation, presque en pitié. Comment ils font ? Qu’est-ce qu’ils ont dans la vie ? Comment ils arrivent à se lever le matin ? Pour ceux qui aiment leur travail, je comprends. Mais pour tous les autres ? Des fois je me sens minable de penser ça. Je me sens flemmarde et lâche, je m’en veux d’être si exigeante envers la vie. Des fois, encore aujourd’hui, je me sens coupable.

Mais je ne peux pas concevoir qu’on puisse accepter cette vie-là ! Neuf heures par jour, cinq jours par semaine, quatre semaines par mois, onze mois dans l’année, cinquante ans dans une vie !! Près de 100’000 heures à répéter les mêmes gestes, les mêmes actions, sans réelle envie. Certains se consolent des quelques jours fériés dans l’année, de leur mois de vacances, de leur congé parental ou, pire, de leur retraite. Comment ça peut leur suffire de savoir qu’à soixante-cinq ans (si ça ne change pas jusque-là), ils seront libres de leurs journées ? Même les fonctionnaires qui la prennent à cinquante ans, quel intérêt ?! Comment on peut vivre sans même se rappeler de la dernière fois que l’on a fait quelque chose pour la première fois ? Quel holocauste de la vie.

Ils répètent qu’ils n’ont pas le choix, que si tout le monde était comme moi, le système mourrait. Qu’ils ont des enfants à nourrir, des crédits à payer. Que je suis jeune et inculte, que je verrai dans quelques années. Ça fait des années maintenant, je ne le comprends toujours pas. Qu’on s’entende : je n’ai rien contre le travail. J’ai bien conscience que le travail est nécessaire, qu’il est même une vertu. J’ai conscience aussi que si les jeunes le refusent, la société, telle qu’elle est érigée actuellement, ne tiendra pas longtemps. Mais de un, une société ça peut évoluer. Et de deux, surtout, il y a travail et travail. Je crois sincèrement que la majorité des emplois du secteur tertiaire n’ont aucune valeur et ne permettront jamais à un être humain de s’épanouir. J’entends par là tous les métiers de la vente, de la finance, des assurances, toutes les secrétaires, les comptables, tous ceux qui ne produisent jamais rien de concret. (Ça m’fait penser à la Petite Léonine de K)

J’ai aussi du mal avec l’idée générale que le travail que l’on exerce définit notre valeur en tant qu’humain. C’est la première question que l’on pose en rencontrant quelqu’un : ‘’qu’est-ce que tu fais dans la vie’’. Sa réponse nous permet de le situer dans l’échelle sociale, de nous faire une idée très précise de la personne qu’elle est, avant même de lui avoir réellement parlé. Est-ce qu’il faut vraiment que je précise que ma valeur va bien au-delà du métier que je pourrais exercer ? J’ai l’impression d’écrire quelque chose de tellement sensé que c’en est débile de le relever. J’aimerais qu’un jour la première chose que l’on demande à quelqu’un soit : ‘’qu’est-ce que tu aimes faire dans la vie ? Qu’est-ce qui nourrit tes journées ?’’. Je m’y engage.

Aujourd’hui j’ai trouvé des débuts de réponse à mon malaise face au monde du travail, mais à l’époque je n’y comprenais rien. Et cette incompréhension m’a vraiment pesé. Quelle agressivité je contenais, quel trouble, quelle douleur.

Au début de mon apprentissage, je me rassurais en me disant que, pour ma part, ça ne serait que trois ans. Trois ans de formation, le temps de passer ma majorité et de partir bien loin de cette misère. Je me retrouverais avec un diplôme assez intéressant en Suisse, qui m’ouvrirait plusieurs portes pour la suite de ma carrière. Mais trois ans. Trois ans quand tu en as seize, c’est long.

Malgré ça, j’ai essayé. La pression sociale, familiale, la peur d’être rejetée comme motifs principaux. Mais après trois mois j’entrais en dépression, après six mois mon corps me lâchait, après neuf mois j’ai arrêté de parler et de me nourrir. Gentiment je me suis isolée, séparée de mon petit ami de l’époque, mon acolyte adoré. De mon père aussi. J’en arrivais à me sentir perdue au sein de ma propre famille.

J’arrivais à bout de tout. J’étais rachitique, d’une pâleur inquiétante, mon corps menaçait de s’effondrer à chaque pas. Il me serait impossible de décrire aujourd’hui ces mois d’errance mornes, la précarité dans laquelle je me suis retrouvée. Je suis passée d’un psychologue à l’autre, d’un médicament à l’analogue plus puissant. Au final mes émotions étaient tellement domptées que je ne ressentais plus rien. Je me rappelle de ce vide ce vide ce vide, tout autour de moi. Pour la première fois de ma vie, je pensais sincèrement qu’il valait mieux être morte.

J’ai reçu plusieurs avertissements au travail. Les directrices ont même convoqué mes parents, inquiets et impuissants. Personne ne comprenait. Comment c’est possible d’être dans un état pareil alors que tout le monde y arrive ? Que les autres le font bien, eux. Je ne comprenais moi-même pas ce qui se passait. J’étais incapable d’expliquer comme cet endroit me rongeait. Mon dieu, ces autres, je les ai tant haïs. Qu’est-ce qui cloche chez moi ? Comment je vais réussir ma vie ? Je suis minable, je me déteste. J’ai été voir un énième psychologue, je pensais être folle, au moins bipolaire ou autiste, sûrement plus. C’est là que le terme est tombé : hypersensible. Juste ça. Tout ça pour ça ? Juste parce que je suis un peu trop sensible ? Nom de dieu !

Il était drôle ce psychologue. Il avait la voix cassée, on entendait à peine ce qu’il disait. Je crois qu’il avait eu un accident par le passé. C’est pour ça que je l’avais choisi à l’époque, il était aussi un peu mal foutu. Un peu boiteux. Il m’a mis un livre entre les mains : ‘’les gens qui ont peur d’avoir peur’’ d’Elaine Aron. Je crois que c’est ce livre qui m’a sauvé la vie. Pour la première fois j’ai su ce qui se passait dans mon cerveau, j’ai appris que je n’étais pas folle. Ok, j’étais un peu bancale, mais bancal ça va, bancal c’est même bien. Aujourd’hui j’associe volontiers cette sensibilité à la phrase d’Into the Wild : ‘’la fragilité du cristal ne le rend pas faible, il le rend délicat’’.

Ce livre était devenu ma bible. Comme un manuel de survie, un évangile pour gens bizarres. J’y puisais conseils et secours. Grâce à lui j’ai appris à connaître mes limites, à me ménager, mais surtout, j’ai compris qu’il y en avait plein des comme moi. Que cette particularité, si elle était apprivoisée et travaillée, pouvait devenir une richesse infinie, une réelle force. En écrivant ces lignes, je pense au dernier verset de la chanson ‘’Loterie’’ de Fauve. J’ai éclaté mon poing sur la table et j’ai refusé de me résigner.

Un jour, ça a été le jour de trop. Il ne s’est rien passé de particulier, c’était juste trop. J’ai donné mon congé sans prévenir personne. En un éclair, sans autre forme de procédure, sans demander l’avis de quiconque. Mon cerveau tournait en boucle depuis plusieurs semaines, répétant ce mot-là : démissionne ! démissionne ! démissionne ! démissionne. J’ai écrit une magnifique lettre (bah oui, j’étais employée de commerce), et l’ai apportée à ma directrice. J’ignore encore aujourd’hui d’où m’est venu cet élan, de quel ultime instinct de survie.

Quelle libération j’ai ressenti, ça fait bientôt cinq ans, mais je me rappellerai toute ma vie de ce jour. Le 28 aout 2012. Je sais, d’une manière confuse, que l’origine de ma vie d’aventurière se situe là. Je suis rentrée à la maison et j’ai avisé ma mère. La nouvelle ne l’a pas enchantée, peut-être parce qu’à l’époque j’étais incapable d’en expliquer les raisons. Il faut dire que l’adolescence ne m’a pas franchement réussi, pas plus que sa quarantaine. Le dialogue entre nous était coupé depuis plusieurs années. Une grosse dispute a éclaté, des mots qu’on ne devrait même pas réserver à son pire ennemi ont été dits, des deux camps. J’ai fait mes valises et j’ai quitté la maison. On ne s’est plus vues durant des mois, des années.

Aujourd’hui, avec tout le recul du monde, j’arrive à comprendre sa position. On vivait, et c’est toujours le cas, dans des réalités très différentes. Dans son monde, dans ses vérités, mon agissement était dangereux, débile et irrespectueux. De mon côté, sa réaction était une attaque sans équivoque à la personne que j’étais. Nous étions incapables d’empathie tant le fossé qui nous séparait était profond. Au fond, sa réaction était de l’inquiétude et la mienne, un besoin de soutien jamais ressenti.

Il y a une phrase qui me plait beaucoup, et que je me répète à chaque fois que l’on me fait une critique : ‘’tout reproche est une demande d’amour non formulée.’’ je crois que ces mots sont la base d’une communication respectueuse et non violente.

Je reçois parfois des messages de jeunes qui me demandent comment j’ai géré la réaction de mes parents. La vérité c’est qu’il n’y a pas de recette miracle. À l’époque je répondais avec maladresse – ‘’Qui m’aime me suive, s’ils ne m’acceptent pas ils n’ont rien à faire dans ma vie’’. Aujourd’hui je répondrais plutôt que la communication est la clé. Que leur agacement ou leur agressivité n’est que la conséquence directe de leur peur, et donc de leur amour. Et une peur, ça se rassure. Avec des mots, le plus souvent. Voilà, je dirais qu’il faut préparer ses arguments. Même si malheureusement, souvent, ça ne suffit pas.

Il y a peu de chance qu’ils le comprennent du premier coup, c’est dur, c’est bien le problème de ma génération : nous ne voulons pas de la vie que nos parents ont imaginée pour nous. Je crois que c’est l’une des plus dures épreuves du voyageur en devenir, ou de n’importe quelle personne qui choisit une voie marginale ; on doit être prêt à renoncer à la reconnaissance de nos parents. Pour ma part, j’ai eu la chance d’avoir l’appui de mon père, mon premier supporter, mon allié dans la vie. Je crois que cette aventure nous a beaucoup rapprochés. Il était le seul à me soutenir depuis le début, le seul à m’encourager sachant même que je n’avais pas encore toutes les cartes en main. Avec ma mère ça a pris plus de temps, mais je sais qu’aujourd’hui elle est aussi très fière de moi. Le temps est un allié.

Quand j’ai quitté mon emploi on était à la veille des examens, et par fierté, j’ai quand même voulu les passer. Je voulais me prouver que j’en étais capable, que ma décision n’était pas une action de lâcheté ou d’incapacité, mais de courage. Il fallait que je les réussisse pour affirmer que cette vie de bohème était un choix, et qu’il faudra que j’en assume les conséquences. Toutes les conséquences. J’avais déjà bien commencé : j’avais 18 ans et cinq jours, un gros sac sur le dos et à peine trois cents francs de côté. Plus de maison, plus de formation, plus de mère. Je m’étais tant isolée durant cette année que je n’avais plus aucun ami non plus. Les mois qui ont suivi ont été un combat pour ressortir la tête de l’eau. Ce fut un lent et progressif retour à la vie, un courageux tour de force.

S’en sont suivies deux années d’errance et de recherche. J’avais une idée très précise de ce que je ne voulais pas, mais plus vraiment d’idée de ce que je voulais. J’ai exercé une dizaine de métiers, déménagé une dizaine de fois aussi. J’ai essayé tant bien que mal de me faire ma place dans ce monde qui ne voulait pas de moi. J’avais l’impression d’être un poisson rouge remontant le courant, de commencer une partie de poker avec des cartes qui manquent. Je travaillais beaucoup, parfois plus que la moyenne, mais je ne gagnais pas grand-chose. J’occupais souvent dans des postes un peu débiles, mais malgré ça, j’étais libre de mes mouvements. Je n’avais pas de contrat restrictif, je changeais de travail comme je le voulais, je pouvais partir à tout moment. Je crois que c’est ça que j’aimais et qui m’est encore très précieux aujourd’hui : si tu m’appelles et me proposes un projet, on peut commencer demain. Même s’il est à l’autre bout du monde, deux trois coups de fil et je suis prête.

La rencontre du voyage – fin 2014

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé. Bon, je ne suis pas sûre que l’on puisse appeler cela un projet, mais un jour, sur Facebook, j’ai lu le post d’un chanteur français que j’aimais beaucoup. C’est un peu un rebelle, il médisait ses fans pour leur manque d’implication dans ses concerts. Je ne sais plus de quoi parlait le post exactement, mais il relevait le fait que les gens ne s’impliquaient plus dans rien, qu’ils dédiaient leur vie à des activités vaines, que plus personne n’était capable de folies.

Je ne sais plus pourquoi, mais son coup de gueule avait éveillé ma curiosité, j’ai décidé de lui répondre. Je lui ai envoyé un message tout aussi con, et lui m’a lancé un défi : ‘’je ne sais pas où tu vis, mais je te donne rendez-vous demain à 18 heures à cette adresse, si tu y es, je t’invite volontiers à boire une bière.’’ Puymirol, perdu dans la cambrousse au sud de la France. Est-ce qu’il y a vraiment des gens qui vivent là-bas ?! Je lance la recherche sur Google Maps et me rends compte qu’il y a plus de huit-cent bornes, qu’il est déjà 18 heures, que je dois aller au travail le lendemain. Je décline l’offre et entre en classe.

À l’époque je travaillais pour un courtier en assurance et j’avais repris mes études en cours du soir. Je faisais un rattrapage pour avoir le diplôme du gymnase (le bac), pour ensuite pouvoir devenir éducatrice sociale. J’avais choisi ce métier parce qu’il était humain, parce que c’est la chose que je fais le mieux dans la vie. Qu’importait qu’il me faille faire sept ans d’étude, au moins, mes journées auraient un sens. Cette pensée me paraissait sensée, les gens étaient contents quand je leur parlais de ce projet.

Sans m’en rendre compte, je retournais gentiment, dangereusement, dans ce système qui me faisait tant horreur. Je travaillais de 10 à 17 heures dans un bureau et de 18 à 21 heures j’étais à l’école. Les deux activités qui quelques années plus tôt me dégoûtaient le plus. À midi je mangeais un sandwich sur le pouce, et le soir, trop épuisée pour cuisiner, je mangeais un bol de corn flakes en m’endormant devant la télé. Sortir du système est un combat, mais il ne s’arrête pas à ça. Le défi est de ne pas y replonger. Il faut beaucoup de passion et une attention constante pour ne pas renier ses rêves ni ses valeurs. Pour ne pas se laisser embarquer sur une voie qui n’est pas la nôtre. Quelquefois, encore aujourd’hui, j’ai peur que les forces me manquent et de finir par me résigner.

Sans le savoir, ce gars avait lâché une bombe. J’ai passé l’heure de français à cogiter, celle d’informatique à réserver un covoiturage (pour la toute première fois de ma vie), puis celle d’allemand à préparer un mail pour mon employeur. Le lendemain matin j’ai pris la route pour Toulouse, comme si de rien n’était. J’ai raconté mon histoire au conducteur qui n’en revenait pas, c’est devenu un ami que je vois encore aujourd’hui.

Je suis arrivée à Toulouse en début d’après-midi. C’était l’une des premières fois, si ce n’est la première, que j’allais quelque part seule. J’avais entendu tellement de choses sur cette ville, ma mère m’avait mis en garde qu’il y avait eu une fusillade quelques mois auparavant, j’étais paniquée à cette idée. J’entrais dans le métro pour rejoindre la gare, je serrais mon sac à dos dans mes bras, j’étais persuadée que j’allais me faire braquer. À chaque fois que je croisais un Arabe, bien qu’étant moi-même Algérienne, j’avais peur qu’il m’attaque. J’avais vingt ans et passé trop d’années à regarder le JT sur les chaines françaises. Je n’avais aucune idée de la réalité du monde dans lequel je vivais.

Au fil des minutes, voyant qu’il n’y avait pas de danger, je me détendais. On était au mois de novembre, on avait depuis plusieurs jours de la neige en Suisse, mais ici le soleil brillait. Il faisait même chaud. J’avais une heure à tuer avant d’embarquer pour un second covoiturage. À l’époque, faire du stop n’était même pas envisagé. Je marchais dans la rue et les gens étaient souriants, joyeux. J’aimais beaucoup cette ville et l’ambiance qui y régnait.

Après quelques heures, entre voiture et marche, je suis arrivée au lieu de rendez-vous. Il était 17h59, la ponctualité Suisse. J’ai rencontré ce garçon, on a bu notre bière et passé la soirée ensemble. Plus les heures passaient et plus je me sentais mal à l’aise. Ce gars-là, bien que bourré de talent, contenait une colère en lui, qui aujourd’hui encore me déconcerte. Je crois qu’il ne faudrait jamais rencontrer ses idoles.

J’avais un peu d’argent encore et je décidais de passer quelques jours à Toulouse, tant la ville m’avait plu. J’ai repris le métro en direction du centre, et cette fois-ci, vous allez rire, on m’a volé mon sac. Plus de porte monnaie ni de passeport, plus aucune affaire ni habit de rechange. Plus rien. Mais contre toute attente, ça allait. Ce qui me terrifiait le jour d’avant, aujourd’hui, ne me paraissait plus si grave. Je ne saurais expliquer cette insouciance nouvelle. J’avais juste le sentiment profond que ça allait aller. Je suis descendue au centre-ville et je suis passée devant un groupe de musiciens de rue, qui, ironie du sort, jouaient une chanson de l’artiste rencontré la veille. Ils avaient une petite pancarte avec écrit ‘’on ne mord pas, venez discuter’’. J’écoute toujours les pancartes.

À la fin de leur morceau, je les ai rejoints. Ils étaient quatre, début de la trentaine, des dreadlocks plein les cheveux. Je leur ai raconté mon périple et ça les a bien fait rire. Ils ont repris leur concert et m’ont invitée à jouer avec eux. Je ne connais aucun instrument et ne sais pas chanter, alors je fais de l’œuf ! Parfois du triangle, ça dépendait des morceaux. Ils étaient tout doux, ils dégageaient une énergie et une bienveillance qui me surprenait. Je me suis demandé comment ils s’y prenaient pour être si heureux. À la fin du concert, ils m’ont proposé de passer quelques jours chez eux, mais j’ai refusé. Il fallait que je rentre chez moi, ça me paraissait soudain urgent.

L’un d’eux m’a proposé l’auto-stop, je lui ai demandé s’il était fou ?! Moins d’une heure après, j’étais à la sortie de la ville, un panneau ‘’Suisse’’ entre les mains. Ils sont convaincants ces voyageurs. Ils m’ont donné l’argent qu’ils ont gagné durant leur concert, une vingtaine d’euros et ont attendu un peu avec moi. Je tremblais, morte de peur. Une première voiture s’est arrêtée, j’ai serré très fort mes quatre anges et je suis montée. La conductrice avait l’air inquiète, elle me l’a exprimé. J’ai compris qu’elle avait autant peur de moi, que moi d’elle. Quelle bêtise. Je me demande à quel moment on a arrêté de se faire confiance les uns les autres. Elle m’a conduite presque jusqu’à Genève, dans un petit village frontalier. Elle aussi a été surprise en entendant mon aventure, elle m’a accueillie chez elle pour la nuit. Le lendemain elle m’a déposée dans une station-service à la sortie de Genève, en deux minutes j’avais trouvé une voiture pour Lausanne, deux heures après j’étais chez moi. Quelle vie j’avais vécue en trois jours !

Ces quelques jours m’avaient laissé entrevoir qu’une autre vie était possible. Tout ce qu’il me fallait c’était de l’adresse, de l’audace, et un peu de chance. Il n’y avait rien de très précis, encore moins de garanti, mais il y avait un équilibre possible quelque part, et il fallait que je le trouve. Il fallait que je le risque. Une énergie toute nouvelle m’habitait. Je n’avais jamais ressenti ça. Je me sentais forte, presque féroce. Je venais de goûter à la liberté pour la toute première fois de ma vie, et d’un coup il me paraissait primordial de me battre pour elle, de la défendre de toute mon âme.

Je m’étonnais des années qu’il m’avait fallu pour le comprendre. Une succession de petit rien avait entaillé la chaine et ce petit évènement improbable l’avait fait craquer. Quelle claque on prend quand on réalise que l’on n’a pas la vie que l’on voudrait. Qu’on a trop triché avec nos rêves, qu’on ne peut plus se mentir : qu’il faut partir. Le soir de mon retour, j’écrivais au directeur de mon école, puis à mon patron. La semaine d’après je quittais mon appartement. Quelques mois après, je partais sans un sou le pouce tendu vers la Norvège. Je quittais mes proches sans savoir la date de mon retour, j’ignorais même si et comment j’allais rentrer.

Il y a eu d’autres crises, d’autres évènements et d’autres rencontres qui m’ont menée là, mais je te les raconterai un autre jour si tu veux bien. J’aurais assez de contenu pour écrire toute la nuit mais mon texte fait déjà dix pages et mes yeux brûlent. Si tu es arrivé jusqu’à ces mots c’est que tu es sûrement un personnage un peu étrange toi aussi. Je ne sais pas si c’est bizarre ou mal perçu de dévoiler sa vie privée comme ça sur internet, mais je crois que c’était important de le faire. Ne serait-ce que pour dire que je n’ai rien de spécial, rien de plus qu’un autre. Rien de plus que toi qui hésites à partir.